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Jupiter et Antiope, dit aussi La Vénus du Pardo

1525 / 1550 (2e quart du XVIe siècle)
INV 752 ; MR 521
Département des Peintures
Actuellement visible au Louvre
Salle 711
Aile Denon, Niveau 1
Inventory number
Numéro principal : INV 752
Autre numéro d'inventaire : MR 521
Artist/maker / School / Artistic centre
Titien (Tiziano Vecellio, dit Tiziano ou) (Pieve di Cadore (Belluno), 1488 ou 1490 - Venise, 1576)
Italie Vénétie Venise dit aussi Italie du Nord Venise, , École de

Description

Object name/Title
Titre : Jupiter et Antiope, dit aussi La Vénus du Pardo
Description/Features

Physical characteristics

Dimensions
Hauteur : 1,96 m ; Largeur : 3,85 m
Materials and techniques
huile sur toile (transposition)

Places and dates

Date
2e quart du XVIe siècle (1525 - 1550)

History

Object history
Provenance :
Probablement envoyé vers 1552 par Titien au prince Philippe d’Espagne (futur Philippe II) ; offert en 1623 par Philippe IV d’Espagne au prince Charles d’Angleterre (futur Charles Ier) ; acquis par le cardinal Mazarin après l’exécution de Charles Ier en 1649 ; acquis en 1661 par Louis XIV ; bien de la collection royale nationalisée en 1793.

Commentaire :
Une œuvre altérée par les restaurations anciennes
Ce tableau dont le sujet précis n’est pas identifiable a été appelé, au moins depuis le XVIIe siècle, la Vénus du Pardo, du nom du palais royal espagnol du Pardo aux environs de Madrid.
Cette toile de grande dimension fit plusieurs voyages à travers l’Europe qui ont pu l’endommager : envoyée à Philippe II en Espagne, elle partit en Angleterre en 1623 puis rejoignit la France en 1653. Elle fut restaurée au moins une première fois en 1688 : des soulèvements de la peinture incitèrent alors à un rentoilage qui fut accompagné d’une intervention sur la couche picturale. L’entreprise ayant été jugée désastreuse, Antoine Coypel, peintre et garde des tableaux du roi, dut reprendre le travail, sans doute entre 1710 et 1722. Mais dès 1750, il fallut procéder à un nouveau rentoilage, sans doute suivi d’une reprise de la couche picturale. Soins presque inutiles car une nouvelle opération fut décidée en 1794 et s’achèva en 1804, peu de temps avant une plus lourde restauration menée entre 1829 et 1831. A cette occasion, on procèda à une transposition de la peinture sur une nouvelle toile, un travail très délicat qui provoque souvent d’importantes pertes de matière originale. Ce changement de support fut également suivi d’une restauration de la couche picturale, dernière grande opération avant la dernière restauration (2010-2015).
Cette documentation sur les anciennes restaurations est très précieuse, mais elle demeure laconique et frustrante car aucun détail n’est donné. Heureusement, nous disposons de nombreuses copies dessinées, gravées et peintes d’après le tableau, tout au long de son existence. L’analyse de ces copies permet de comprendre l’amplitude des dégâts : à chaque intervention, des modifications apportées par Titien ont été retirées, car sans doute considérées comme des repeints ultérieurs. Le récent examen scientifique au laboratoire du Centre de recherche et de restauration des musées de France (C2RMF) et l’étude des copies anciennes a cependant permis de mieux comprendre les états successifs du tableau depuis sa création mais aussi sa genèse.

La première « poésie » pour le roi Philippe d’Espagne ?
Pour la plupart des spécialistes, la Vénus du Pardo fut la première des « poesie », une suite de tableaux à sujet mythologique que Titien peignit pour le roi d’Espagne Philippe II à partir du début des années 1550. Mais est-ce vraiment « le paysage » dont l’artiste annonce l’arrivée imminente en Espagne dans une lettre de 1552 ? Est-ce bien « la femme nue avec le paysage et le satyre » dont l’artiste rappelle l’envoi dans une liste de tableaux établie en 1574 pour le secrétaire du souverain espagnol, Antonio Pérez ? On ne peut malheureusement l’assurer. Sa première mention certaine date seulement de 1582, soit six ans après la mort du maître. On la doit à Argote de Molina qui, dans son Discurso sobre la montería, décrit l’œuvre au Pardo : « au-dessus de la porte est peinte à l’huile de la main du grand Titien, Jupiter transformé en satyre contemplant la beauté de la belle Antiope qui est endormie ».
Cette première identification du sujet n’allait toutefois pas convaincre tous les critiques. Comparée aux autres poesie, la Vénus du Pardo se distingue en effet par une iconographie singulière car la fable antique n’est pas immédiatement reconnaissable. Certes, la femme nue courtisée par un satyre visé d’une flèche par Cupidon évoque bien l’histoire de la belle Antiope endormie et assaillie par Jupiter métamorphosé en satyre. Mais ce mythe ne rapporte pas la présence d’autres protagonistes, ni les chasseurs s’approchant du cerf saisi par deux chiens, ni cette femme et cet autre satyre assis sur la prairie. L’étonnante coexistence de ces figurants explique la multiplicité des interprétations de l’œuvre. S’il faut y voir l’illustration d’une histoire antique, on songe bien sûr à Jupiter et Antiope, mais l’on peut voir aussi dans le jeune homme tenant les deux chiens à gauche Adonis quittant Vénus. D’autres historiens ont préféré y voir une allégorie sur les différents modes de la vie humaine, active ou méditative, voire un simple paysage arcadien habité de nymphes et de satyres.

Une lente et complexe création
Le seul personnage peint directement sur la préparation de l’œuvre, et donc prévu dès le début, est la femme nue. Elle était alors le véritable centre de la composition car la bande de toile d’environ 60 cm de large à l’extrémité gauche n’a été ajoutée que dans un second temps par l’artiste. Le corps était complètement représenté, même les pieds masqués ensuite par le satyre, dans une pose très proche de celle de la célèbre Vénus du musée de Dresde, aujourd’hui considérée par la majorité des historiens de l’art comme l’une des premières œuvres de Titien.
Rapidement, le peintre a dû ajouter, sur une rapide ébauche de paysage, le couple à gauche et sans doute un homme ou un satyre à droite. Un dessin attribué à Parmesan et conservé à Darmstadt pourrait reproduire un projet initial de la composition : on y retrouve le nu, un jeune homme à ses pieds, vu de dos car regardant une lutte animale dans le paysage, également désignée du bras par un troisième personnage placé au-dessus de la tête de la femme. Mais ces idées n’ont pas toutes été traduites sur la toile, tels le groupe dans le paysage où, à la place des animaux, le maître a peint deux couples de cavaliers un peu dans le goût de celui représenté dans le fond de l’Amour sacré et Amour profane de la Galerie Borghèse.
A ce premier stade, peut-être au cours des années 1510, Titien semble donc avoir voulu dépeindre une scène pastorale dans l’esprit du Concert champêtre du Louvre, équivalent pictural des textes poétiques d’un Pietro Bembo. Est-ce dans le même temps ou un peu plus tard qu’il y mêla une connotation bachique, en posant sur la tête du satyre de gauche une couronne de vigne ainsi que l’aiguière et la grappe de raisin au sol ? Cette allusion évoque le cycle des Bacchanales, peint par le maître pour le camerino d’alabastro, le cabinet de travail d’Alphonse d’Este, duc de Ferrare. Le couple assis à droite aurait parfaitement trouvé sa place dans l’un des tableaux, les Andriens, peint vers 1523-1526. Et à vrai dire, le format monumental de la Vénus du Pardo laisse penser à une destination princière de ce type. Pour autant, le sujet dépeint n’illustre pas de textes antiques comme les compositions du camerino.
Ce grand tableau dont le destinataire initial demeure inconnu fut vraisemblablement laissé inachevé dans l’atelier de Titien pendant plusieurs années, selon une pratique habituelle de l’artiste. C’est peut-être pour le roi d’Espagne qu’il décida de le reprendre. Le peintre rencontra le prince Philippe en 1548 puis en 1550-1551. Au cours de cette seconde entrevue, les deux hommes convinrent de l’exécution d’une série de tableaux mythologiques que Titien allait appeler les « poesie ». Pour servir au plus vite son mécène, le maître eut peut-être l’idée de réutiliser un précédent tableau inachevé. Il en agrandit d’abord le support en ajoutant à gauche une bande de toile. Puis il apporta à cette scène bucolique aux accents bachiques une référence plus claire à la chasse. A droite, deux chasseurs et leurs chiens entrent vivement et bruyamment en scène, en butant presque sur le couple assis. Au fond à droite, Titien peignit par-dessus les cavaliers deux hommes avançant eux aussi avec leurs chiens vers le cerf. Au centre, il plaça près de deux baigneuses un grand arbre sur lequel est suspendu Cupidon. Il est certain qu’il modifia également plusieurs autres détails déjà peints, notamment dans le paysage auquel il parvint à donner une grande harmonie. Cette incursion du monde de la chasse s’explique-t-elle par sa destination en Espagne, plus particulièrement le Pardo, pavillon de chasse, où l’œuvre fut accrochée depuis au moins 1582 ?
Titien semble avoir voulu également donner à la femme nue et à son assaillant un caractère plus mythologique évoquant Antiope et Jupiter. Il conserva néanmoins le couple assis en masquant toutefois la couronne de vigne sur la tête du satyre (réapparue lors d’une restauration agressive au XVIIe siècle).
De ces ultimes transformations, naquit cette composition inédite, mûrie sur plus d’une trentaine d’années, dans laquelle le mythe antique semble le point de départ à une méditation plus large sur le thème de l’amour dont le Dieu domine d’ailleurs l’espace. De part et d’autre de l’arbre central, on découvre ainsi l’amour calme et partagé qui s’oppose au viol de la femme endormie. La scène de chasse semble également commenter la violence de l’assaut amoureux. L’analogie était encore plus claire lorsque le jeune homme tenant les chiens à droite tirait une flèche du carquois de Cupidon, un geste finalement modifié. Et cette réflexion est posée dans un vaste paysage, l’un des plus saisissants du peintre, dont le bois sauvage et la vive cascade évoquent encore la passion amoureuse, l’instinct naturel.
Par sa complexité formelle et sémantique, la Vénus du Pardo devenait l’un de ces tableaux au sujet mystérieux si goûtés des esprits savants de l’époque qui développaient sans peine de multiples interprétations, au gré de la conversation. Mais il était aussi sans doute possible de simplement admirer la merveilleuse peinture du corps humain aux carnations si sensuelles et peut-être plus encore de la nature dans les teintes chaudes du crépuscule. Une raison de plus de croire que c’est bien ce tableau que Titien appelait simplement « le paysage » (« il paesaggio »).
Texte de Vincent Delieuvin (juillet 2021)
Acquisition details
ancienne collection royale/de la Couronne
Acquisition date
date : 1665
Owned by
Etat
Held by
Musée du Louvre, Département des Peintures

Location of object

Current location
Denon, [Peint] Salle 711 - Salle de la Joconde, Salle 711 - (Vestibule Salle des Etats)

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Exhibition history

- Le Siècle de Titien, de Giorgione à Véronèse, Paris (France), Galeries nationales du Grand Palais, 09/03/1993 - 14/06/1993
Last updated on 29.09.2022
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