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L'Annonciation
1820
RFML.PE.2025.13.1
Département des Peintures
Inventory number
Numéro principal : RFML.PE.2025.13.1
Collection
Artist/maker / School / Artistic centre
Description
Object name/Title
Titre : L'Annonciation
Description/Features
Inscriptions
Signature :
"FO [monogramme] / 1820" (vers le bas à droite, sur le bloc situé en arrière de la Vierge Marie)
"FO [monogramme] / 1820" (vers le bas à droite, sur le bloc situé en arrière de la Vierge Marie)
Physical characteristics
Dimensions
Hauteur : 0,79 m ; Largeur : 0,515 m
Materials and techniques
huile sur toile
Places and dates
Date
1e quart du XIXe siècle (1820)
History
Object history
Commandé à l’artiste par Friedrich Fromm en 1815 ; peint à Rome, livré en septembre 1820 à Lübeck (chez les parents de l'artiste) puis à Parchim (chez le commanditaire) ; collection de Dr. Friedrich Ernst Carl Fromm (1776-1846), magistrat à Parchim puis à Rostock ; par héritage à la fille de ce dernier, Bertha ; collection de Bertha Stannius, née Fromm (1819-1905), à Rostock ; par héritage à la fille de cette dernière, Bertha ; collection de Bertha Förster, née Stannius (1844-1915) ; par héritage à la fille de cette dernière, Margarete Auguste ; collection de la baronne Margarete Auguste Sophie Emma Johanna von Vietinghoff-Scheel, née Förster (1878 - ?) ; par héritage à la fille de cette dernière, Ilse Bertha ; collection d’Ilse Bertha Valeska Castorf, née von Vietinghoff-Scheel (1899-1990) ; par héritage à la fille de cette dernière, Ilse Marianne ; collection d’Ilse Marianne Hedwig Roger, née Castorf (1933-1990) ; par héritage à son fils ; mis en vente par ce dernier, Paris, Tajan, 27 mars 2025, n° 113, estimé 100 000 - 150 000 euros, adjugé 100 000 euros (131 200 euros frais compris) et préempté par le musée du Louvre ; inscrit sur l'inventaire des Peintures du musée du Louvre sous le n° "RFML.PE.2025.13.1" en 2025 ; restauré au C2RMF, Paris, en 2025.
Commentaire :
Cette Annonciation, achevée par Overbeck en 1820, lui a été commandée en 1815 par Friedrich Fromm, un magistrat d'Allemagne du Nord, région dont l'artiste était aussi originaire. Après sa formation à l'académie des beaux-arts de Vienne de 1806 à 1810, Overbeck s'est installé à Rome en juin 1810 avec plusieurs condisciples allemands avec lesquels il avait fondé la "confrérie de saint Luc" ("Lukasbund"). Cette réunion volontaire avait pour intention de faire sécession avec la formation académique, de travailler en communauté et de se consacrer principalement à la régénération de l'art religieux en prenant modèle sur les d'artistes italiens et germaniques du XVe siècle.
Pour répondre à la commande de Friedrich Fromm, Overbeck utilise et adapte la composition d'une Annonciation qu'il avait inventée en 1814 pour un projet de diptyque consacré à la Vierge Marie. Dans ce dessin (Bâle, Lupferstichkabinett), l'Annonciation est représentée à gauche, et la Visitation à droite ; les deux scènes sont entourées d'un encadrement décoré d'arabesques et de figures en miniatures. Le diptyque est conçu comme un support de dévotion à la Vierge Marie car en-dessous de chaque scène est écrite la première strophe de l’Ave Maria, la prière la plus populaire du culte catholique marial et l’élément essentiel du rosaire. Dans une lettre à son père, écrite à Rome le 4 mars 1816, Overbeck avait donné une description de ce diptyque : « Le sujet est la juxtaposition de la Salutation angélique [l'Annonciation] et de la Visitation, qui sont réunies par un encadrement architectural. À gauche j’ai donc représenté le salut donné par l’Ange. La sainte Vierge est assise sous un préau derrière la maison, à travers lequel on voit un étroit jardinet ensoleillé au milieu duquel Joseph arrose des fleurs, et au-delà, un lac entouré de montagnes. En entrant, l’Ange pose respectueusement un genou à terre devant Celle que sa pureté et son humilité ont rendu digne de devenir la mère du Dieu vivant. J’ai cherché à exprimer en particulier sa soumission à la volonté divine, comme si elle disait : « Vois, je suis la servante du Seigneur ! » ». Dans cette première composition, Overbeck reprend la tradition iconographique de l’Annonciation telle qu’elle s’est stabilisée dans la peinture italienne du Trecento. L’archange tenant un sceptre, à gauche de l’image, s’adresse à la Vierge qui se tient à droite, un livre à la main ; un vase posé entre eux symbolise le mystère de l’Incarnation, une branche de lys et le jardin clos (hortus conclusus) rappelent la pureté inaltérée de la Vierge. Un élément inattendu, et qui semble une invention personnelle d'Overbeck, est la présence de saint Joseph à l’arrière-plan. Sa présence est rare dans les Annonciations, car ce saint est davantage associé aux Nativités et aux Adorations de l’Enfant Jésus. Outre sa présence, son activité est aussi surprenante : au lieu d’exercer la charpenterie, il se consacre au jardinage, en prenant soin des fleurs avec un arrosoir. Ce geste prend sens lorsque lon prend conscience que le jardin clos est la métaphore du corps à la fois fécond et vierge de Marie : dans le mystère de l’Incarnation, Joseph n’est pas le géniteur (celui qui sème) mais le père nourricier (celui qui abreuve et soigne).
Pour répondre à la commande du magistrat Fromm, Overbeck isole l’Annonciation dessinée qu’il adapte en tableau de chevalet de moyen format. La scène doit fonctionner indépendamment de la Visitation, l’artiste corrige donc la perspective afin que le point de fuite soit centré dans la composition. Cette modification, qui entraîne la reprise complète du dessin du carrelage et celui de la voûte de la loggia, forme l’essentiel du premier travail d’adaptation effectué au moyen d'un carton préparatoire dessiné (Lübeck, musée Behnhaus Drägerhaus). Au stade de ce carton préparatoire, le peintre ne prévoyait pas d'autres modifications iconographiques. L’arrière-plan restait inchangé, caractérisé par un paysage de lac et de montagnes visible par-delà une clôture en plessis interrompue par une porte protégée par un auvent, et devant laquelle poussent deux arbres grêles.
C’est au cours de l’exécution picturale, menée vraisemblablement en 1819 et au début de l’année 1820, qu’Overbeck apporte les principales modifications à son Annonciation. Le repentir le plus manifeste est celui du vase contenant la branche de lys blanc, posé au sol à côté de la Vierge, presque au centre de la composition. Après l’avoir peint, Overbeck a finalement supprimé ce vase et déplacé la branche de lys dans le bras gauche de l’archange Gabriel, parallèlement à son sceptre. Les coroles blanches du lys dépassent juste au-dessus de la tête de l'archange. Par la même occasion, les motifs et le coloris du carrelage sont une nouvelle fois modifiés, comme en témoignent les anciens cabochons sombres sous-jacents, discernables aujourd’hui par effet de transparence accrue de la couche de peinture superficielle claire. L’artiste a jugé préférable de simplifier le dessin du carrelage afin d’alléger et de libérer entièrement l’espace séparant l’archange Gabriel de la Vierge Marie.
Si le premier plan inférieur est simplifié, l’architecture de la loggia fait au contraire l’objet de développements ornementaux par rapport au dessin de 1814. Les fûts de colonnes prennent une section hexagonale et non plus ronde, et sont dotés d’une coloration différenciée, peut-être dans un but symbolique : le bleu céleste de la colonne de gauche est à l’aplomb de l’archange, tandis que la colonne de droite prend une teinte verte, au droit de la Vierge ici associée au jardin clos. La voûte à croisée d’ogives est enrichie d’un décor de nervures secondaires (liernes et tiercerons) caractéristique du gothique flamboyant du Nord de l’Europe. Dans le paysage d’arrière-plan, le complexe architectural italianisant à gauche reste inchangé, Overbeck transforme en revanche, au centre et à droite, le paysage rustique (un village au bord d’un lac, des rochers couverts de végétation) en un paysage plus habité et animé de nombreux éléments architecturaux (tour de guet, moulin, ville, église gothique, château fort) inspirés de la Renaissance germanique. Afin de dégager la vue, les deux arbres grêles et élancés poussant près de la clôture en plessis, encore visibles sur le carton, sont supprimés. À l’instar du paysage, le personnage de Joseph prend une apparence plus septentrionale et tardo-médiévale : au lieu du manteau porté à la manière d’une toge antique, Joseph est finalement vêtu d’une longue robe rouge aux manchettes fourrées, couverte d’un épais manteau brun par-dessus, comme une cape, tandis que sa tête, nue dans le dessin, est protégée par un chapeau noir à rebords, dans le tableau. Outre l’arrosoir tenu dans la main droite, Overbeck lui ajoute une bêche dans le bras gauche. Enfin, dans le haut du ciel, au centre exact de l’arcade centrale dont la vue est libérée par la suppression des arbres, Overbeck place la colombe du Saint-Esprit dont partent des rayons dorés en direction de la Vierge Marie.
Ces nombreuses modifications renseignent sur le soin et la réflexion qu’Overbeck a donnés à cette composition peinte, achevée au bout de cinq ans, comme en témoigne la date « 1820 » peinte sous son monogramme. "L’Annonciation" n’est donc pas une simple réplique en couleurs dérivée du diptyque dessiné de 1814, c’en est une reformulation indépendante, longuement mûrie et enrichie, où le dialogue entre art italien et art germano-flamand atteint un degré supérieur, propagé au paysage et au décor architectural. La lenteur d’exécution s’explique aussi par le fait qu’Overbeck était absorbé par les premières commandes de peintures à fresque dans des maisons romaines, passées au groupe des Nazaréens : d’abord le salon de la Casa Zuccari pour le consul de Prusse Bartholdy (de 1816 à 1817), puis le décor intérieur du casino (pavillon de chasse) du marquis Carlo Massimo, à partir de 1817. Enfin, l’artiste se marie le 18 octobre 1818 avec Anna (dite Nina) Schiffenhuber-Hartl et de cette union naît un garçon le 23 août 1819.
Overbeck achève "L’Annonciation" sans doute avant l’été 1820, période à laquelle il effectue un séjour de repos de deux mois à Florence avec sa famille, à l’invitation de son compatriote, le critique et historien de l’art Carl Friedrich von Rumohr (1785-1843). Pendant ce temps, la peinture est expédiée en Allemagne du Nord où elle arrive mi-septembre 1820, peu de temps avant la mort de la mère d'Overbeck. Les parents de l'artiste ont désiré la voir avant qu'elle ne soit livrée chez son commanditaire, Friedrich Fromm, à Parchim (ville du grand-duché de Mecklembourg-Schwerin, située à 90 km au sud-est de Lübeck). Le tableau reste en propriété du magistrat Fromm jusqu’à sa mort en 1846 à Rostock, ville portuaire où il avait entretemps été nommé président de la cour d’appel. Le tableau s’est ensuite transmis dans sa descendance jusqu'au début du XXIe siècle, sans jamais être exposé, ni reproduit ni publié.
Overbeck puise l’inspiration fondamentale de "L’Annonciation" dans la peinture italienne de la deuxième moitié du XVe siècle. Il applique le « dispositif à percée centrale » allié au type architectural du « palais-villa », dont l'historien de l'art Daniel Arasse a retracé la genèse en Toscane dans les années 1440-1450 autour de Fra Angelico et de Filippo Lippi, et le grand succès de cette formule jusqu’aux années 1510-1520. La pose et le costume de l’archange Gabriel, vu de profil, le genou droit au sol et bénissant la Vierge de la main droite, sont inspirés des Annonciations de Pérugin et de Fra Bartolomeo, notamment celle achevée en 1497 pour la chapelle de la Santissima Annunziata de la cathédrale de Volterra, en Toscane (Volterra, cathédrale, chapelle du Rosaire). Dans ces scènes, la Vierge se tenait debout, marquant un geste de surprise. Overbeck préfère lui donner une position assise, interrompue au cours d’une lecture : il souligne ainsi la sérénité à peine troublée de la jeune femme qui se soumet à l’annonce divine. Ce schéma est très proche de celui qu’Overbeck a peut-être pu voir dans une petite Annonciation peinte par le jeune Raphaël vers 1504-1505 pour la prédelle du retable Oddi (Rome, musées du Vatican) : après son exposition à Paris de 1797 à 1815, ce retable avait été rapporté à Rome en 1816 et acquis par les collections vaticanes en 1820.
Au-delà de la loggia, le paysage est subdivisé entre l’espace privé et protégé du jardin entretenu par Joseph, et le vaste monde terrestre aménagé par la société humaine : ce schéma s’inscrit typiquement dans l’héritage pictural flamand du milieu du XVe siècle et présente une forte analogie avec la "Vierge et l’Enfant au chancelier Rolin" de Jan van Eyck (Paris, musée du Louvre). Il est certain qu’Overbeck n’a jamais eu d’accès visuel direct à cette peinture qui, depuis Autun où elle était conservée depuis l’origine, a rejoint en 1800 les collections du Muséum central des arts à Paris (futur musée Napoléon puis musée du Louvre) pour ne plus le quitter. Mais l’œuvre a été gravée en 1813 pour illustrer un "Cours élémentaire de peinture" par Antoine Michel Filhol et Joseph Lavallée (t. 9, Paris, 1813) possiblement consultable à Rome. Par ailleurs, la "Vierge du chancelier Rolin" a fait l’objet d’une description littéraire enthousiaste de l'écrivain allemand Friedrich Schlegel, dix ans plus tôt, dans l’une de ses "Descriptions de tableaux" envoyées depuis Paris à la revue germanophone "Europa" dont il était le rédacteur en chef. Autre source probable, le "Saint Luc dessinant la Vierge" de Rogier van der Weyden devait être connu d’Overbeck, non seulement en raison des copies qui en ont été faites (dont une visible à Munich), mais aussi du sujet qui résonnait intimement avec la patronage spirituel de saint Luc que s’étaient choisi les Nazaréens ("Lukasbrüder").
Le paysage se caractérise par l’assemblage de motifs architecturaux italianisants et germaniques. Le complexe architectural visible à gauche de l’Annonciation, constitué d’une nef d’église à laquelle se greffe une maison civile, revêt une apparence typiquement italienne grâce au crépis rosé, au clocher-mur (campanile a vela) et aux tuiles romanes qui couvrent l’absidiole sur le flanc du bâtiment. À l’extrême gauche de la composition se devine un puits dont la poulie en bois est suspendue à un portique de fortune, édifié en relevant deux fûts de colonnes antiques brisées (l’un en travertin lisse, l’autre en marbre cannelé) surmontés d’un fragment d’entablement en marbre. Les ruines antiques dominées par l’architecture romane chrétienne sont un poncif de la peinture religieuse de la Renaissance, exprimant à la fois le prestigieux ancrage antique du catholicisme romain, mais aussi la victoire du christianisme sur le paganisme. Le paysage à l’arrière-plan et à droite est pour sa part redevable à l’architecture et à la peinture germaniques : la vue de ville gothique située de l’autre côté d’une rivière, avec une tour de guet au premier plan rappelle la vue de Munich prise depuis la rive droite de l’Isar, peinte en 1761 par Bernardo Bellotto (Munich, Alte Pinakothek) et abondamment diffusée par la gravure. Les tons gris et bleutés des escarpements montagneux imaginaires font aussi penser aux dessins de paysages d’Albrecht Dürer ; quant à la fortification perchée sur un piton rocheux à droite, elle évoque les paysages dont Lucas Cranach l’Ancien ornait fréquemment l’arrière-plan de ses scènes historiques et bibliques.
La savante fusion de références méridionales et septentrionales, qui caractérise la peinture d’Europe occidentale des années 1470-1490, est ici réactivée par Overbeck selon des assemblages inédits. Contemporaine d'"Italia et Germania", chef-d'oeuvre allégorique et programmatique d'Overbeck (Munich, Neue Pinakothek), l'Annonciation n’est pas le plagiat d’une œuvre précise ni le pastiche d’un artiste particulier du Quattrocento finissant. Overbeck ajoute, à trois siècles d’écart, un nouveau chapitre à une branche de la peinture religieuse européenne qui avait été mise en sommeil vers 1520. Le jeu de multiples citations formelles n’est pas pour l’artiste une fin en soi, mais le moyen pour atteindre le but élevé dont il ne s’est jamais départi : raviver la foi religieuse de ses contemporains par une peinture à la fois savante et touchante, qui apporte consolation et sérénité à ceux qui la contemplent. L’Annonciation de 1820 est à ce titre un exemple représentatif de la renaissance d’un art dévotionnel que recherchent Overbeck et ses confrères nazaréens.
(Côme Fabre, avril 2025)
Commentaire :
Cette Annonciation, achevée par Overbeck en 1820, lui a été commandée en 1815 par Friedrich Fromm, un magistrat d'Allemagne du Nord, région dont l'artiste était aussi originaire. Après sa formation à l'académie des beaux-arts de Vienne de 1806 à 1810, Overbeck s'est installé à Rome en juin 1810 avec plusieurs condisciples allemands avec lesquels il avait fondé la "confrérie de saint Luc" ("Lukasbund"). Cette réunion volontaire avait pour intention de faire sécession avec la formation académique, de travailler en communauté et de se consacrer principalement à la régénération de l'art religieux en prenant modèle sur les d'artistes italiens et germaniques du XVe siècle.
Pour répondre à la commande de Friedrich Fromm, Overbeck utilise et adapte la composition d'une Annonciation qu'il avait inventée en 1814 pour un projet de diptyque consacré à la Vierge Marie. Dans ce dessin (Bâle, Lupferstichkabinett), l'Annonciation est représentée à gauche, et la Visitation à droite ; les deux scènes sont entourées d'un encadrement décoré d'arabesques et de figures en miniatures. Le diptyque est conçu comme un support de dévotion à la Vierge Marie car en-dessous de chaque scène est écrite la première strophe de l’Ave Maria, la prière la plus populaire du culte catholique marial et l’élément essentiel du rosaire. Dans une lettre à son père, écrite à Rome le 4 mars 1816, Overbeck avait donné une description de ce diptyque : « Le sujet est la juxtaposition de la Salutation angélique [l'Annonciation] et de la Visitation, qui sont réunies par un encadrement architectural. À gauche j’ai donc représenté le salut donné par l’Ange. La sainte Vierge est assise sous un préau derrière la maison, à travers lequel on voit un étroit jardinet ensoleillé au milieu duquel Joseph arrose des fleurs, et au-delà, un lac entouré de montagnes. En entrant, l’Ange pose respectueusement un genou à terre devant Celle que sa pureté et son humilité ont rendu digne de devenir la mère du Dieu vivant. J’ai cherché à exprimer en particulier sa soumission à la volonté divine, comme si elle disait : « Vois, je suis la servante du Seigneur ! » ». Dans cette première composition, Overbeck reprend la tradition iconographique de l’Annonciation telle qu’elle s’est stabilisée dans la peinture italienne du Trecento. L’archange tenant un sceptre, à gauche de l’image, s’adresse à la Vierge qui se tient à droite, un livre à la main ; un vase posé entre eux symbolise le mystère de l’Incarnation, une branche de lys et le jardin clos (hortus conclusus) rappelent la pureté inaltérée de la Vierge. Un élément inattendu, et qui semble une invention personnelle d'Overbeck, est la présence de saint Joseph à l’arrière-plan. Sa présence est rare dans les Annonciations, car ce saint est davantage associé aux Nativités et aux Adorations de l’Enfant Jésus. Outre sa présence, son activité est aussi surprenante : au lieu d’exercer la charpenterie, il se consacre au jardinage, en prenant soin des fleurs avec un arrosoir. Ce geste prend sens lorsque lon prend conscience que le jardin clos est la métaphore du corps à la fois fécond et vierge de Marie : dans le mystère de l’Incarnation, Joseph n’est pas le géniteur (celui qui sème) mais le père nourricier (celui qui abreuve et soigne).
Pour répondre à la commande du magistrat Fromm, Overbeck isole l’Annonciation dessinée qu’il adapte en tableau de chevalet de moyen format. La scène doit fonctionner indépendamment de la Visitation, l’artiste corrige donc la perspective afin que le point de fuite soit centré dans la composition. Cette modification, qui entraîne la reprise complète du dessin du carrelage et celui de la voûte de la loggia, forme l’essentiel du premier travail d’adaptation effectué au moyen d'un carton préparatoire dessiné (Lübeck, musée Behnhaus Drägerhaus). Au stade de ce carton préparatoire, le peintre ne prévoyait pas d'autres modifications iconographiques. L’arrière-plan restait inchangé, caractérisé par un paysage de lac et de montagnes visible par-delà une clôture en plessis interrompue par une porte protégée par un auvent, et devant laquelle poussent deux arbres grêles.
C’est au cours de l’exécution picturale, menée vraisemblablement en 1819 et au début de l’année 1820, qu’Overbeck apporte les principales modifications à son Annonciation. Le repentir le plus manifeste est celui du vase contenant la branche de lys blanc, posé au sol à côté de la Vierge, presque au centre de la composition. Après l’avoir peint, Overbeck a finalement supprimé ce vase et déplacé la branche de lys dans le bras gauche de l’archange Gabriel, parallèlement à son sceptre. Les coroles blanches du lys dépassent juste au-dessus de la tête de l'archange. Par la même occasion, les motifs et le coloris du carrelage sont une nouvelle fois modifiés, comme en témoignent les anciens cabochons sombres sous-jacents, discernables aujourd’hui par effet de transparence accrue de la couche de peinture superficielle claire. L’artiste a jugé préférable de simplifier le dessin du carrelage afin d’alléger et de libérer entièrement l’espace séparant l’archange Gabriel de la Vierge Marie.
Si le premier plan inférieur est simplifié, l’architecture de la loggia fait au contraire l’objet de développements ornementaux par rapport au dessin de 1814. Les fûts de colonnes prennent une section hexagonale et non plus ronde, et sont dotés d’une coloration différenciée, peut-être dans un but symbolique : le bleu céleste de la colonne de gauche est à l’aplomb de l’archange, tandis que la colonne de droite prend une teinte verte, au droit de la Vierge ici associée au jardin clos. La voûte à croisée d’ogives est enrichie d’un décor de nervures secondaires (liernes et tiercerons) caractéristique du gothique flamboyant du Nord de l’Europe. Dans le paysage d’arrière-plan, le complexe architectural italianisant à gauche reste inchangé, Overbeck transforme en revanche, au centre et à droite, le paysage rustique (un village au bord d’un lac, des rochers couverts de végétation) en un paysage plus habité et animé de nombreux éléments architecturaux (tour de guet, moulin, ville, église gothique, château fort) inspirés de la Renaissance germanique. Afin de dégager la vue, les deux arbres grêles et élancés poussant près de la clôture en plessis, encore visibles sur le carton, sont supprimés. À l’instar du paysage, le personnage de Joseph prend une apparence plus septentrionale et tardo-médiévale : au lieu du manteau porté à la manière d’une toge antique, Joseph est finalement vêtu d’une longue robe rouge aux manchettes fourrées, couverte d’un épais manteau brun par-dessus, comme une cape, tandis que sa tête, nue dans le dessin, est protégée par un chapeau noir à rebords, dans le tableau. Outre l’arrosoir tenu dans la main droite, Overbeck lui ajoute une bêche dans le bras gauche. Enfin, dans le haut du ciel, au centre exact de l’arcade centrale dont la vue est libérée par la suppression des arbres, Overbeck place la colombe du Saint-Esprit dont partent des rayons dorés en direction de la Vierge Marie.
Ces nombreuses modifications renseignent sur le soin et la réflexion qu’Overbeck a donnés à cette composition peinte, achevée au bout de cinq ans, comme en témoigne la date « 1820 » peinte sous son monogramme. "L’Annonciation" n’est donc pas une simple réplique en couleurs dérivée du diptyque dessiné de 1814, c’en est une reformulation indépendante, longuement mûrie et enrichie, où le dialogue entre art italien et art germano-flamand atteint un degré supérieur, propagé au paysage et au décor architectural. La lenteur d’exécution s’explique aussi par le fait qu’Overbeck était absorbé par les premières commandes de peintures à fresque dans des maisons romaines, passées au groupe des Nazaréens : d’abord le salon de la Casa Zuccari pour le consul de Prusse Bartholdy (de 1816 à 1817), puis le décor intérieur du casino (pavillon de chasse) du marquis Carlo Massimo, à partir de 1817. Enfin, l’artiste se marie le 18 octobre 1818 avec Anna (dite Nina) Schiffenhuber-Hartl et de cette union naît un garçon le 23 août 1819.
Overbeck achève "L’Annonciation" sans doute avant l’été 1820, période à laquelle il effectue un séjour de repos de deux mois à Florence avec sa famille, à l’invitation de son compatriote, le critique et historien de l’art Carl Friedrich von Rumohr (1785-1843). Pendant ce temps, la peinture est expédiée en Allemagne du Nord où elle arrive mi-septembre 1820, peu de temps avant la mort de la mère d'Overbeck. Les parents de l'artiste ont désiré la voir avant qu'elle ne soit livrée chez son commanditaire, Friedrich Fromm, à Parchim (ville du grand-duché de Mecklembourg-Schwerin, située à 90 km au sud-est de Lübeck). Le tableau reste en propriété du magistrat Fromm jusqu’à sa mort en 1846 à Rostock, ville portuaire où il avait entretemps été nommé président de la cour d’appel. Le tableau s’est ensuite transmis dans sa descendance jusqu'au début du XXIe siècle, sans jamais être exposé, ni reproduit ni publié.
Overbeck puise l’inspiration fondamentale de "L’Annonciation" dans la peinture italienne de la deuxième moitié du XVe siècle. Il applique le « dispositif à percée centrale » allié au type architectural du « palais-villa », dont l'historien de l'art Daniel Arasse a retracé la genèse en Toscane dans les années 1440-1450 autour de Fra Angelico et de Filippo Lippi, et le grand succès de cette formule jusqu’aux années 1510-1520. La pose et le costume de l’archange Gabriel, vu de profil, le genou droit au sol et bénissant la Vierge de la main droite, sont inspirés des Annonciations de Pérugin et de Fra Bartolomeo, notamment celle achevée en 1497 pour la chapelle de la Santissima Annunziata de la cathédrale de Volterra, en Toscane (Volterra, cathédrale, chapelle du Rosaire). Dans ces scènes, la Vierge se tenait debout, marquant un geste de surprise. Overbeck préfère lui donner une position assise, interrompue au cours d’une lecture : il souligne ainsi la sérénité à peine troublée de la jeune femme qui se soumet à l’annonce divine. Ce schéma est très proche de celui qu’Overbeck a peut-être pu voir dans une petite Annonciation peinte par le jeune Raphaël vers 1504-1505 pour la prédelle du retable Oddi (Rome, musées du Vatican) : après son exposition à Paris de 1797 à 1815, ce retable avait été rapporté à Rome en 1816 et acquis par les collections vaticanes en 1820.
Au-delà de la loggia, le paysage est subdivisé entre l’espace privé et protégé du jardin entretenu par Joseph, et le vaste monde terrestre aménagé par la société humaine : ce schéma s’inscrit typiquement dans l’héritage pictural flamand du milieu du XVe siècle et présente une forte analogie avec la "Vierge et l’Enfant au chancelier Rolin" de Jan van Eyck (Paris, musée du Louvre). Il est certain qu’Overbeck n’a jamais eu d’accès visuel direct à cette peinture qui, depuis Autun où elle était conservée depuis l’origine, a rejoint en 1800 les collections du Muséum central des arts à Paris (futur musée Napoléon puis musée du Louvre) pour ne plus le quitter. Mais l’œuvre a été gravée en 1813 pour illustrer un "Cours élémentaire de peinture" par Antoine Michel Filhol et Joseph Lavallée (t. 9, Paris, 1813) possiblement consultable à Rome. Par ailleurs, la "Vierge du chancelier Rolin" a fait l’objet d’une description littéraire enthousiaste de l'écrivain allemand Friedrich Schlegel, dix ans plus tôt, dans l’une de ses "Descriptions de tableaux" envoyées depuis Paris à la revue germanophone "Europa" dont il était le rédacteur en chef. Autre source probable, le "Saint Luc dessinant la Vierge" de Rogier van der Weyden devait être connu d’Overbeck, non seulement en raison des copies qui en ont été faites (dont une visible à Munich), mais aussi du sujet qui résonnait intimement avec la patronage spirituel de saint Luc que s’étaient choisi les Nazaréens ("Lukasbrüder").
Le paysage se caractérise par l’assemblage de motifs architecturaux italianisants et germaniques. Le complexe architectural visible à gauche de l’Annonciation, constitué d’une nef d’église à laquelle se greffe une maison civile, revêt une apparence typiquement italienne grâce au crépis rosé, au clocher-mur (campanile a vela) et aux tuiles romanes qui couvrent l’absidiole sur le flanc du bâtiment. À l’extrême gauche de la composition se devine un puits dont la poulie en bois est suspendue à un portique de fortune, édifié en relevant deux fûts de colonnes antiques brisées (l’un en travertin lisse, l’autre en marbre cannelé) surmontés d’un fragment d’entablement en marbre. Les ruines antiques dominées par l’architecture romane chrétienne sont un poncif de la peinture religieuse de la Renaissance, exprimant à la fois le prestigieux ancrage antique du catholicisme romain, mais aussi la victoire du christianisme sur le paganisme. Le paysage à l’arrière-plan et à droite est pour sa part redevable à l’architecture et à la peinture germaniques : la vue de ville gothique située de l’autre côté d’une rivière, avec une tour de guet au premier plan rappelle la vue de Munich prise depuis la rive droite de l’Isar, peinte en 1761 par Bernardo Bellotto (Munich, Alte Pinakothek) et abondamment diffusée par la gravure. Les tons gris et bleutés des escarpements montagneux imaginaires font aussi penser aux dessins de paysages d’Albrecht Dürer ; quant à la fortification perchée sur un piton rocheux à droite, elle évoque les paysages dont Lucas Cranach l’Ancien ornait fréquemment l’arrière-plan de ses scènes historiques et bibliques.
La savante fusion de références méridionales et septentrionales, qui caractérise la peinture d’Europe occidentale des années 1470-1490, est ici réactivée par Overbeck selon des assemblages inédits. Contemporaine d'"Italia et Germania", chef-d'oeuvre allégorique et programmatique d'Overbeck (Munich, Neue Pinakothek), l'Annonciation n’est pas le plagiat d’une œuvre précise ni le pastiche d’un artiste particulier du Quattrocento finissant. Overbeck ajoute, à trois siècles d’écart, un nouveau chapitre à une branche de la peinture religieuse européenne qui avait été mise en sommeil vers 1520. Le jeu de multiples citations formelles n’est pas pour l’artiste une fin en soi, mais le moyen pour atteindre le but élevé dont il ne s’est jamais départi : raviver la foi religieuse de ses contemporains par une peinture à la fois savante et touchante, qui apporte consolation et sérénité à ceux qui la contemplent. L’Annonciation de 1820 est à ce titre un exemple représentatif de la renaissance d’un art dévotionnel que recherchent Overbeck et ses confrères nazaréens.
(Côme Fabre, avril 2025)
Acquisition details
achat
Acquisition date
date de commission des acquisitions : 11/12/2024
Commission acquisition : 11/12/2024
date du conseil artistique des musées nationaux : 12/02/2025
Conseil artistique : 12/02/2025
date d'affectation : 12/02/2025
date de décision : 12/02/2025
date de l'inscription sur l'inventaire : 12/02/2025
Commission acquisition : 11/12/2024
date du conseil artistique des musées nationaux : 12/02/2025
Conseil artistique : 12/02/2025
date d'affectation : 12/02/2025
date de décision : 12/02/2025
date de l'inscription sur l'inventaire : 12/02/2025
Owned by
Etat
Held by
Musée du Louvre, Département des Peintures
Location of object
Current location
non exposé
Index
Mode d'acquisition
- Thimann, Michael, Overbeck und die Bildkonzepte des 19. Jahrhunderts, Ratisbonne, Verlag Schnell & Steiner, 2014, p. 253-255
- Piantoni, Gianna ; Susinno, Stefano (dir.), I Nazareni a Roma, cat. exp. (Rome, Galeria nazionale d'arte moderna, 22 janvier - 22 mars 1981), De Luca Editore, Rome, 1981, n°69
- Jent, Hermann, Emilie Linder (1797-1867). Studie zur Biographie der Basler Kunstsammlerin und Freudin Clemens Brentanos, Berlin, 1970, p. 28-30, 54
- Howitt, Margaret, Friedrich Overbeck : sein Leben und Schaffen, nach den Briefen und andern Dokumenten des handschriftlichen Nachlasses. 1. Band (1789-1833), Fribourg-en-Brisgau, Herder'sche Verlagshandlung, 1886, p. 460-462
Last updated on 20.05.2025
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