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Ornement au masque

Vers 1525/1530
ALTDORFER Albrecht, gravé par
8273 LR/ Recto
Département des Arts graphiques
Inventory number
8273 LR/ Recto
Former inventory number:
3611a
Handwritten inventory reference:
vol.6, p.27
Collection
Département des Arts graphiques
Collection Edmond de Rothschild
Artist/maker / School / Artistic centre
ALTDORFER Albrecht (vers 1482/1485-1538), gravé par
Ecole allemande

Description

Object name/Title
Ornement au masque
Description/Features
Commentaire :
«Altdorfer entrepreneur. Les eaux-fortes de vases d'apparat. Sur les vases d'apparat, le fier monogramme AA - pour « Albrecht Altdorfer » - est clairement visible. Il semble collé à la manière d'une étiquette sur le Gobelet couvert de forme ovale (1) et s'apparente à une tablette sur le Gobelet couvert sur trois pieds sphériques (2). Il ne fait aucun doute que les vingt-trois eaux-fortes de vases d'apparat proviennent de l'atelier d'Albrecht Altdorfer, l'une des « fabriques d'images » les plus inventives du début du xvie siècle, où elles furent exécutées entre 1520 et 1525 (3). Dans les trois dernières décennies du xve siècle, un nouveau genre iconographique prend forme dans les ateliers d'un certain nombre de graveurs d'Europe septentrionale, dont Martin Schongauer (vers 1440-1445 - 1491) (fig. 30) et Israhel van Meckenem (vers 1440-1445 - 1503) : la représentation gravée sur cuivre d'un objet isolé - un type d'image sur lequel les spécialistes s'interrogent encore aujourd'hui (4). Les eaux-fortes d'Albrecht Altdorfer se distinguent par leur technique et leur variété de celles que l'on connaissait à la fin du xve siècle. Et pourtant, elles soulèvent des questions similaires : à quoi servaient les estampes de vases d'apparat ? Quel était le public ciblé ? Altdorfer poursuivait-il un objectif purement économique, celui de proposer des esquisses et des modèles aux orfèvres ? Ou le choix de l'eau-forte participait-il de considérations artistiques visant à toucher un cercle restreint et élitiste de collectionneurs de gravures ? Ces deux hypothèses doivent-elles nécessairement s'exclure l'une l'autre ? Le présent essai se propose d'établir un lien entre ces deux postulats. En tant qu'entrepreneur, Altdorfer - comme nous allons le montrer - s'adressait à un public aussi large que possible : d'un côté les fabricants d'objets de luxe, les orfèvres, de l'autre leurs commanditaires. Au début du xvie siècle, ces derniers recherchaient souvent des projets d'orfèvrerie dans le style welsch (italien, à l'antique) ou teutsch (allemand), puis gardaient les eaux-fortes pour leurs qualités picturales après avoir passé commande. Altdorfer connaissait, de l'Italie du Nord, la possibilité d'imprimer de telles séries d'estampes sous forme de recueil de modèles (Kunstbuch) (5). Pourtant, il conserva le principe de la feuille autonome, laissant les destinataires choisir le nombre qu'ils souhaitaient acquérir.
Les eaux-fortes de vases précieux et leur mode de représentation. Le corpus d'eaux-fortes de vases précieux d'Altdorfer comprend en tout vingt-trois feuilles avec vingt-six représentations de pièces d'orfèvrerie - dont de nombreux gobelets couverts à haut pied (Pokal), simples ou doubles, deux aiguières et un présentoir (ou une fontaine de table). La forme dominante est celle du gobelet godronné, que l'on rencontre surtout, à la fin du xve siècle, à Nuremberg (6) (fig. 31). Dans plusieurs eaux-fortes, Altdorfer varie toutefois les parois de la coupe en remplaçant les godrons travaillés au repoussé par des cannelures, des motifs cordiformes ou des médaillons en relief (cat. 50). La conception du fût, toujours en balustre, est particulièrement représentative du travail de l'artiste, tout comme l'usage abondant des feuilles d'acanthe qui non seulement couvrent le balustre, mais assurent aussi en d'autres endroits une transition harmonieuse entre les éléments constitutifs du récipient (base, fût, coupe, couvercle). Altdorfer puise ici dans les dernières innovations de l'orfèvrerie d'or et d'argent. Le maître de Ratisbonne enrichit la forme du gobelet godronné, initialement rythmée par une géométrie rigoureuse, en introduisant de nombreuses composantes à l'italienne (welsch) - feuilles d'acanthe stylisées, festons de feuillages, coquilles, dauphins ou créatures hybrides ailées comme les sirènes et les mascarons -, mais aussi à l'allemande (teutsch), notamment en matière d'ornements végétaux - brins de muguet, raves et grenades (7). De même, pour le couronnement des gobelets, Altdorfer a puisé son inspiration aussi bien au nord qu'au sud des Alpes. Ainsi, l'esprit transalpin imprègne un hanap godronné, au fût en balustre enveloppé de feuilles d'acanthe enroulées et sommé d'une sphère ailée, symbole de l'action changeante de Fortune (cat. 50g), la déesse du destin (8). Ou, sur un autre gobelet couvert, la figure d'Hercule enfant étranglant deux serpents (cat. 53a). C'est en revanche au vocabulaire « allemand » qu'Altdorfer emprunte le lansquenet somptueusement vêtu qui se dresse, dans une pose nonchalante et assurée, sur une autre variante de hanap à couvercle (9). La plupart de ces vases d'apparat se détachent sur un fond sombre obtenu par un réseau dense de hachures croisées. Presque tous semblent flotter au-dessus du bord inférieur de la feuille. Dans de rares cas, Altdorfer les met en scène, exposant par exemple un gobelet double en biais devant un hanap (cat. 54a). Dans une autre estampe, il dispose trois vases précieux les uns derrière les autres : un présentoir - ou une fontaine de table -, un petit hanap et un gobelet à couvercle (cat. 55a). D'une feuille à l'autre, l'artiste passe de l'éclairage régulier d'un « dessin technique », qui donne la même valeur à tous les éléments du vase, à une approche picturale du sujet, obtenue par exemple en n'ombrant que très légèrement un côté ou la partie inférieure d'un gobelet godronné. Le modelé des vases d'apparat ainsi obtenu par des effets de clair-obscur gagne incontestablement en dimension plastique. C'est le même résultat que celui atteint par Dürer dans son carnet d'esquisses dit « de Dresde » (1507-1528), où il reproduit six récipients précieux selon un angle de vue en plongée (fig. 32). Il est rare néanmoins que des orfèvres, même dans leurs dessins, créent une illusion spatiale par un jeu d'ombres et de lumière (10). Pour la mise en perspective de ces objets, Altdorfer reste fidèle à une vue strictement frontale et à une accentuation des horizontales. La comparaison avec des dessins d'orfèvrerie conservés datant des premières décennies du xvie siècle révèle que la vision frontale ne constituait que l'un des nombreux modes de représentation des vases précieux : étaient notamment employées la vue plongeante et la perspective ascendante, avec une prédilection pour la combinaison de plusieurs perspectives destinée à offrir la vision la plus complète possible (11).La préférence d'Altdorfer pour une perspective uniforme, qu'il partageait avec quelques orfèvres de son temps - mais pas tous -, rappelle ici les nouvelles exigences, fondées sur des règles mathématiques, imposées au dessin. Dans la seconde édition de l'Underweysung der Messung (Instruction pour la mesure à la règle et au compas, Nuremberg, 1538) d'Albrecht Dürer, c'est un vase qui sert d'objet d'étude au dessinateur assis devant sa « machine à perspective » (fig. 33). Le modèle de ce bois gravé se trouve déjà dans le carnet d'esquisses « de Dresde » (12). Le format des différentes eaux-fortes n'est pas homogène, mais varie de 16 à 23 centimètres en hauteur et de 8 à 14 centimètres en largeur. La comparaison entre le Hanap Hohenlohe du trésor de l'ordre Teutonique à Vienne et l'eau-forte d'Altdorfer d'après laquelle il fut exécuté en 1534 révèle que la pièce d'orfèvrerie, de 33,5 centimètres de haut, mesure une dizaine de centimètres de plus que son modèle (13) (cat. 54a). Cependant, la différence de taille entre les hanaps et les gobelets doubles, ces derniers jusqu'à deux fois plus hauts, est moindre dans les eaux-fortes. Les libertés qu'Altdorfer s'octroyait avec les dimensions transparaissent également dans les estampes présentant plusieurs vases d'apparat (cat. 55a). Un gobelet double, particulièrement petit, figure ici devant un gobelet couvert qui, par comparaison, semble presque hypertrophié.
À l'italienne (welsch) et À l'allemande (teutsch). le répertoire iconographique. Comme nous l'avons observé, Altdorfer puisait dans un répertoire ornemental inspiré des gravures du nord et du sud des Alpes, qu'il enrichissait dans ses propres créations avec un grand génie inventif. L'adaptation du balustre venu des estampes d'Italie du Nord s'avéra déterminante pour l'aspect des gobelets à haut pied de la Renaissance. La parfaite assimilation, par Altdorfer, de ces modèles gravés est illustrée de façon exemplaire par le Gobelet à couvercle et grotesques (cat. 51a), qui emprunte la figure centrale du bélier ailé ornant la paroi du récipient à un burin de Nicoletto da Modena (actif de 1500 à 1522), copié vers 1516 par Giovanni Antonio da Brescia (vers 1460 - après 1523) (14). Nicoletto da Modena se rendit en 1507 à Rome, où il s'inspira des grotesques redécouverts dans la Domus Aurea pour exécuter plusieurs gravures d'ornements de format vertical à la composition rigoureusement symétrique (15). En efféminant la figure du bélier ailé et en humanisant les traits de son visage, Altdorfer exacerbe encore le côté fantasque du modèle. L'ombre accentuée qu'il place sur la moitié gauche du visage traduit les intentions plastiques de l'artiste, qui donne à son motif une présence particulière qu'elle n'avait pas dans le modèle, encore subordonné à une stricte symétrie axiale. Outre ce type d'éléments décoratifs, Altdorfer emprunte aussi aux modèles archéologiques l'idée de la paroi cannelée qu'il introduit comme alternative au gobelet godronné « classique ». On en trouve des exemples dans un carnet de dessins de Nicoletto da Modena reproduisant des urnes antiques (16).
Enfin, c'est dans l'œuvre gravé de maîtres de l'Italie du Nord, tels Nicoletto da Modena, Giovanni Antonio da Brescia ou le Bolonais Peregrino da Cesena (actif vers 1490 - 1520), qu'Altdorfer puisa le mode de représentation dominant de ses eaux-fortes : un récipient partiellement éclairé contrastant avec un arrière-plan d'un noir profond (17). Pour l'effet de clair-obscur, ces artistes italiens s'inspirèrent de la peinture sur émail de leur époque, dans laquelle un matériau sombre (le nielle) était fondu sur du métal, produisant un puissant contraste entre le brillant de l'argent et le noir des parties niellées. Par ailleurs, dans les deux feuilles où plusieurs vases d'apparat disposés les uns derrière les autres forment un ensemble, Altdorfer est allé au-delà de la tradition iconographique connue de ses prédécesseurs Martin Schongauer, Israhel van Meckenem ou Albrecht Dürer, qui consacraient une feuille à chaque objet (18). Avec leurs formats variés, leur modelé plastique rendu par un jeu d'ombres et de lumière, leurs arrière-plans qui vont du « neutre » jusqu'au concret, les eaux-fortes d'Albrecht Altdorfer considérées dans leur globalité forment à première vue un ensemble hétérogène. Elles ont pourtant en commun un haut degré d'élaboration (propre à la technique) qui les apparente à des Visierungen, des modèles parachevés et définitifs préparatoires à l'exécution de pièces d'orfèvrerie. Elles s'en démarquent toutefois par l'absence de couleurs et le non-respect de l'échelle (19).
Altdorfer entrepreneur. des eaux-fortes pour les orfèvres, les commanditaires et les collectionneurs. Nombreux sont les témoignages de l'intense production d'Altdorfer dans le domaine de la gravure. Il conservait plusieurs presses et caractères d'imprimerie dans sa maison au centre de Ratisbonne, qu'il utilisa peu dans les dernières années de sa vie (20). Le vaste corpus graphique d'Altdorfer s'accompagnait d'une collection d'estampes au moins aussi riche. Dans son inventaire après décès sont mentionnés non seulement trois livres de modèles (Kunstbücher), mais aussi des coffres remplis de « documents imprimés » (21). Comme le note Magdalena Bushart, rares furent les peintres et les graveurs à posséder une connaissance aussi ample des productions de leur temps. L'artiste aura vu de ses yeux la plupart des estampes dès leur publication (22). Altdorfer, observateur attentif des travaux de Dürer, semble avoir emprunté à ce dernier son « sens inné de la médiatisation (23) », grâce auquel celui-ci s'était rapidement fait connaître à Nuremberg et au-delà des frontières de la ville, et avait pu accumuler une fortune considérable (dans une lettre à Jakob Heller, sûrement destinée à faire grimper le prix d'un tableau, Dürer remarque que la peinture ne lui rapporte « rien » en comparaison de la gravure) (24). Wolfgang Schmid a calculé que Dürer, avec la vente de ses gravures - qu'il consolida vers 1500 en ajoutant au circuit traditionnel l'intervention de marchands ambulants (« colporteurs ») -, aurait empoché environ 50 florins, soit l'équivalent du salaire annuel d'un maître-artisan du bâtiment (25). Les fortes dépenses liées à l'achat d'une presse d'imprimerie pouvaient donc être vite compensées par les profits obtenus, et encore accrus grâce aux réimpressions. Même si les estampes indépendantes ou les séries ne coûtaient qu'un quart, un huitième ou un seizième de florin, il était possible d'amasser des sommes appréciables (26). À titre de comparaison, l'esquisse d'Altdorfer pour le premier florin d'or (Goldgulden) frappé à Ratisbonne en 1512 lui fut payée 16 pfennigs (27). Si des commandes modestes de ce type accrurent sûrement la renommée d'Altdorfer à Ratisbonne, la diffusion de ses projets par la gravure était certainement l'activité la plus rentable, et ce même si le tirage des eaux-fortes n'atteignait pas celui des xylographies. Contrairement à ses prédécesseurs, comme Schongauer ou Dürer, Altdorfer n'avait pas de lien familial direct avec le monde de l'orfèvrerie. Dans un premier temps, il se contenta d'être « consommateur » : à l'heure de sa mort, il pouvait s'enorgueillir de posséder une admirable collection de vases précieux - en tout treize hanaps et gobelets en argent et en argent doré, dont trois récipients d'apparat godronnés (28). Détenteur de plusieurs livres de modèles (Kunstbücher), il connaissait l'habitude qu'avaient les peintres, les sculpteurs, les orfèvres, les tailleurs de pierre, les menuisiers, les armuriers et les couteliers de se constituer des collections de modèles pour rester concurrentiels (29). La grande importance attribuée à ces répertoires de formes apparaît dans plusieurs sources historiques. Les dessins préparatoires jouaient un rôle de premier plan dans la formation artistique et le Kunstbuch d'un orfèvre était si précieux qu'il pouvait éveiller des convoitises, comme l'atteste le vol de l'un d'entre eux dans un atelier strasbourgeois en 1473. Ces répertoires de modèles font de surcroît l'objet de mentions particulières dans les testaments de plusieurs orfèvres (30). Comparées aux grands recueils de dessins de Bâle et d'Erlangen (31), probablement exécutés pour la plupart d'après des vases d'apparat déjà achevés, les eaux-fortes d'Altdorfer, d'une hauteur moyenne de 20 centimètres, correspondaient manifestement aux conventions en vigueur. Cependant, dans la mesure où Altdorfer renonça à réunir ses feuilles en un livre, les orfèvres se sentaient libres de choisir le nombre et la nature des eaux-fortes qu'ils souhaitaient acquérir et intégrer dans leur collection de modèles. Ces estampes datent de l'époque où Altdorfer, en qualité de membre élu du Conseil et de la hanse de Ratisbonne - une instance qui contrôlait aussi bien l'artisanat que les biens importés et le commerce dans la ville (32)-, était responsable des activités artisanales, donc de celles relevant du secteur de l'orfèvrerie d'or et d'argent (33). S'était-il fixé pour but, dans cette fonction, d'améliorer la qualité du métier - comme une décennie plus tard le peintre, graveur et éditeur d'Allemagne du Sud Heinrich Vogtherr l'Ancien (1490-1556) dans son Kunstbüchlein de 1537 (34) ? On ne peut que spéculer sur cette question.
Nombre d'indices suggèrent que les eaux-fortes d'Altdorfer ne furent pas exécutées seulement pour des orfèvres de Ratisbonne ou d'Allemagne du Sud. Les orfèvres n'assumaient pas toujours la responsabilité du processus d'élaboration. Au contraire, dans la pratique du début du xvie siècle, le dessin préparatoire et l'exécution étaient souvent séparés. Comme nous l'avons vu pour le projet de florin d'or confié à Altdorfer, il était tout à fait courant que les commanditaires fournissent eux-mêmes le modèle définitif (Visierung). Par conséquent, les idées et les modèles intéressaient les commanditaires tout autant que les orfèvres. Le patriciat des villes situées au nord des Alpes affectionnait tout particulièrement les hanaps et les gobelets de style Renaissance façonnés « à l'italienne » (in welscher manier) (35). L'archiduc Ferdinand II (1529-1595), souverain du Tyrol depuis 1564, possédait même un album d'estampes de pièces d'orfèvrerie, peut-être destiné à ses émissaires et aux artistes de la cour afin qu'ils enrichissent ses collections d'art (36). L'idée selon laquelle les eaux-fortes intéressaient aussi les commanditaires est corroborée par les objets eux-mêmes. Non seulement leur décor, qui combinait - ainsi que nous l'avons vu - de nombreux accessoires « à l'italienne », mais aussi la prédominance des godrons pourraient étayer cette hypothèse. Des hanaps à couvercle et des gobelets doubles, tels que les conçut Altdorfer, furent utilisés par le Conseil de Ratisbonne comme dons prestigieux offerts à des visiteurs étrangers dans le cadre de l'échange de cadeaux diplomatiques, ou comme tributs versés au protecteur impérial. L'élite urbaine commandait elle aussi des vases précieux pour de grandes occasions, en particulier pour des « rites de passage » comme le mariage. Toutefois, il ne s'agissait en aucun cas d'objets fabriqués couramment (37). Bien au contraire : en 1513, par exemple, le Conseil de Nuremberg envisagea de remplacer le gobelet godronné comme chef-d'œuvre de maîtrise par un autre travail plus utile (nützlicher) et offrant de meilleures perspectives de vente (38). Comparé à bien d'autres objets d'orfèvrerie - sceaux, bagues, couverts ou récipients plus simples -, le hanap godronné était donc une production relativement limitée, relevant d'une mission spécifique. Altdorfer dut percevoir au plus tard en 1517, avec son entrée au Conseil extérieur de Ratisbonne, l'importance de la représentation officielle exprimée par les cadeaux de prestige (39). C'est pour des commanditaires appartenant à l'élite urbaine de la ville impériale libre de Ratisbonne qu'Altdorfer pourrait avoir exécuté les eaux-fortes associant plusieurs vases précieux dans des mises en scène soignées et variées. Même si la collection de modèles de l'archiduc Ferdinand II fait plutôt figure d'exception, une question toutefois se pose : que devenait la gravure préparatoire après la réalisation du vase d'apparat ? Qu'un commanditaire se débarrasse d'une eau-forte d'Altdorfer, une fois la tâche confiée à l'orfèvre, semble difficilement concevable. À l'image d'Altdorfer, qui conservait des « parchemins » - des documents importants - dans un coffre, on peut imaginer qu'une telle eau-forte était gardée comme témoignage des différentes étapes de la commande, voire que ses qualités esthétiques jouaient un rôle dans sa conservation. Dans plus d'un cas, l'eau-forte pourrait avoir rejoint une collection. Cependant, les informations sont rares sur les premières collections d'art graphique en Allemagne du Sud, sans doute rassemblées avant tout par des humanistes (40). À Ratisbonne, par exemple, le prieur Streitl, du couvent de Saint-Emmeran, collectionna des xylographies et des feuilles volantes qu'il colla dans des livres - à l'instar de Hartmann Schedel à Nuremberg, qui possédait quelques gravures d'ornements, entre autres d'Israhel van Meckenem (41). Il est certain qu'Altdorfer entretenait des contacts étroits avec les humanistes ou litterati de Ratisbonne, les plus probables collectionneurs de l'époque. Humaniste et « antiquaire » à Augsbourg, Konrad Peutinger souhaitait, avec sa collection d'estampes, rassembler toute la production graphique des artistes de sa ville natale, y compris l'atelier Hopfer (42) (voir cat. 55b et c). À notre connaissance, rien n'atteste, à Ratisbonne, une volonté comparable de collectionner l'œuvre des artistes locaux. L'attrait pour les eaux-fortes d'Altdorfer comme - éventuels - objets de collection s'explique avant tout par la maîtrise dont il faisait preuve dans la technique encore très nouvelle de l'eau-forte, qu'il utilisa ici pour représenter des objets particulièrement difficiles à saisir, des récipients aux surfaces brillantes et réfléchissantes. Par ailleurs, à travers la variation de quelques types de vases d'apparat et la combinaison de nombreux éléments décoratifs, tantôt antiquisants, tantôt modernes, « à l'allemande » (teutsch), il prouva la puissance de son invention au service de la création et l'étendue de sa sensibilité artistique. Enfin, Altdorfer a montré, par son usage rigoureux de la perspective, une profonde connaissance des bases mathématiques du dessin, telles qu'elles étaient diffusées par ses contemporains.
(1.Mielke 1997, no e. 99. 2. Mielke 1997, no e. 98. 3. Voir surtout Winzinger 1963a, p.44-45, 50-21 et 118-121 (nos 184 à 208) ; Angerer 1988. 4. Voir en dernier lieu à ce sujet : Stielau 2014 ; Brisman 2018. 5. On pense ici au livre de modèles de Venise, également connu sous le nom de « tarots de Mantegna ». Voir à ce sujet Pollack 2014. 6. Voir surtout Müller 1978. 7. Pour une description détaillée, voir cat. 50. 8. Mielke 1997, no e. 115. Dans les arts visuels de l'époque, le gobelet d'apparat est déjà devenu un symbole de la Fortune. 9. Mielke 1997, no e. 106. 10. Voir une exception parmi les dessins d'orfèvrerie de la collection bâloise : Anonyme, Gobelet à couvercle, 1re moitié du xvie siècle, Bâle, Kunstmuseum Basel, Kupferstichkabinett, inv. U.XII.76. 11. Voir, par comparaison, les collections de dessins d'orfèvrerie d'Erlangen (publiée par Dickel 2014) et de Bâle (Bâle 1991). 12. Voir la seconde édition d'Albrecht Dürer, Underweysung der Messung [...], Nuremberg, 1538 (1re éd. : Nuremberg, 1525), n. p. 13. Kohlhaussen 1965. 14. Hind 1838-1848, V, no 53, p. 52. 15. Voir surtout Partsch 2016. 16. Licht 1970. 17. Sur les emprunts d'Altdorfer à la gravure d'Italie septentrionale, voir Bushart 2004, en particulier p. 90-93. 18. Certes, dans le dessin déjà mentionné du carnet d'esquisses dit « de Dresde », Dürer présente six vases sur une seule feuille, mais ils sont considérés ici isolément comme autant de variantes et non, par conséquent, comme un ensemble. 19. Pour une synthèse des différents types de dessins d'orfèvrerie, voir Bâle 1991, p. 9-16. 20. Sur les biens d'Albrecht Altdorfer, tels qu'ils sont consignés dans le testament et l'inventaire après décès, voir Boll 1938-1939 ; Walde 2011 ; dans les lignes qui suivent, je me référerai à la dernière transcription de Walde en allemand moderne ; sur les presses d'imprimerie, voir Walde 2016, p. 204-205. 21. Walde 2011, p. 273, 275. Les coffres et deux livres de modèles étaient conservés dans la petite pièce-atelier de la maison, un troisième dans la cuisine. 22. Bushart 2004, p. 56. 23. Schmidt 2012, p. 159. 24. Cité d'après Schmitt 2012, p. 169. 25. Schmid 2003, p. 122-127, base de calcul p. 124. 26. Schmid 2003, p. 127-128. 27. Fritz 1982, p. 128. 28. Voir Walde 2011, p. 274. 29. Angerer 1987, p. 58. 30.Fritz1982,p.128:en1473, à Francfort, un Kunstbuch fut volé à l'orfèvre Bartholomäus Heydelberger; sur les testaments des orfèvres, voir ibid. 31. Sur le recueil de Bâle, voir l'ouvrage fondamental qu'est le catalogue Bâle 1991 ; sur celui d'Erlangen, voir Dickel 2014. 32. Une hanse était une association de marchands et ne doit pas être confondue avec la Hanse germanique ou teutonique. 33. Voir Walde 2016. 34. Avec son petit livre de modèles (Kunstbüchlein), Vogtherr espérait « éviter les esprits stupides, encourager et mettre en garde les artistes experts et avisés, faire naître des arts encore beaucoup plus nobles et subtils dans l'amour fraternel », cité d'après Kleinbeck 2012, p. 125. 35. Cité d'après Bâle 1991, p. 9. 36. Stielau 2014, p. 27, se demande si ces feuilles auraient pu être rassemblées par admiration pour la virtuosité artistique des graveurs. 37. Pour un aperçu de la situation à Nuremberg, beaucoup mieux étudiée, voir Tebbe 2007, p. 165-194 ; pour Ratisbonne, Angerer 1987a, en particulier p. 72. 38. Cité d'après Timann 2007, p. 40. 39. En 1526, enfin, il sera élu membre du Conseil intérieur ; voir Walde 2011, p. 263-264. 40. La collection d'art graphique de l'humaniste Hartmann Schedel a été étudiée de façon exemplaire, voir Munich 1990. 41. Sur le prieur Streitl, Bushart 2004, p. 49-50 ; sur Schedel, Munich 1990, voir en particulier no 117. Bushart rappelle qu'il existait certes à Ratisbonne une élite bourgeoise - grands marchands et figures montantes de l'économie -, mais pas de « bourgeoisie culturelle » (Bildungsbürgertum). En tant que « centre intellectuel » de la ville, le couvent de Saint- Emmeram, en particulier, servait de cadre aux débats savants. 42. Albrecht Dürer, dont il collectionna également des gravures, constitue une exception, voir Künast 2001 »)
Albrecht Altdorfer est l'auteur non seulement d'un certain nombre d'eaux-fortes représentant des récipients d'apparat, mais aussi d'une série de gravures sur cuivre de petit format proposant des modèles d'ornements. Dans l'Ornement de feuillage avec brin de muguet, exécuté vers 1515, il choisit un cadrage serré pour l'épais feuillage aux formes imbriquées qui recouvre la presque totalité du fond sombre de sa gravure, constitué de lignes parallèles. Même si Franz Winzinger refuse de voir là un lien direct avec la gravure de Martin Schongauer Rinceau d'ornement à la chouette et autres oiseaux (entre 1470 et 1490) (1), Altdorfer devait sûrement connaître ce genre d'image, qui fut également adopté par Daniel Hopfer (1471-1536) dans l'eau-forte Rinceaux de chardon avec trois oiseaux (2), vraisemblablement une œuvre de jeunesse. Celle-ci fut à son tour reprise par Niccolò d'Aristotile Zoppino pour son répertoire de modèles Esempio di lavoro (Venise, 1529) à l'usage des tisserands. Des rinceaux végétaux similaires se rencontrent en outre chez Altdorfer lui-même, dans les dessins marginaux du Livre de prières de l'empereur Maximilien Ier (cat. 43). Les gravures d'Italie du Nord furent pour Altdorfer une source d'inspiration permanente. L'Ornement au masque - dans l'exemplaire du Louvre, la partie inférieure avec le masque est coupée - peut être lu comme une libre combinaison de différents modèles. Le format rappelle en particulier les gravures de candélabres, très répandues, à la manière de Zoan Andrea. L'Ornement à la tête de chérubin témoigne en revanche d'un lien étroit avec une estampe attribuée à Peregrino da Cesena, qu'Altdorfer a en quelque sorte « améliorée ». Il affine notamment les godrons du vase situé au centre, mais aussi la figure de l'angelot du modèle. Par ailleurs, le fait que le fond soit éclairci au moyen de hachures horizontales parallèles et aérées aide à mieux comprendre la façon dont l'artiste a interprété l'ornement gravé. À côté des rinceaux végétaux déjà évoqués, les candélabres firent aussi leur entrée dans le Livre de prières de l'empereur Maximilien Ier, de même que le masque qu'Altdorfer fait pivoter ici jusqu'à une position en profil de trois quarts. Ce rapport étroit entre modèles d'ornements et illustrations de livres se remarque également dans la collection d'arts graphiques de l'humaniste nurembergeois Hartmann Schedel (1440-1514). Schedel a collé dans ses livres un grand nombre de gravures sur bois et sur cuivre, dont plusieurs panneaux d'ornements au format vertical et horizontal qui viennent enrichir des ouvrages d'histoire naturelle, parmi lesquels l'Histoire naturelle de Pline l'Ancien. Si les gravures à rinceaux végétaux de ce type, qui apparaissent dès la seconde moitié du xve siècle, furent peut-être conçues initialement pour servir de modèles à des créations artisanales telles que couteaux ou poignards à décor gravé, des collectionneurs à l'instar de Schedel leur inventèrent de nouvelles fonctions. L'estampe la plus petite - à peine 3 cm - parmi ce groupe de modèles gravés est de toutes la plus énigmatique. Le récipient sphérique, dont la partie supérieure montre des godrons façonnés au repoussé et recouverts de feuilles stylisées, a fait l'objet d'un grand nombre d'interprétations : encensoir, pomme de senteur, bouton décoratif, clochette, perle de rosaire... Le monogramme d'Altdorfer occupe tout l'espace d'un anneau situé à l'extrémité supérieure, qui devait probablement servir à le suspendre. Si l'on peut sans doute exclure qu'il s'agisse d'un encensoir, un objet en effet doté de plusieurs chaînettes, Winzinger a attiré l'attention sur le tableau d'Altdorfer Vierge à l'Enfant en gloire (3), dans lequel l'Enfant Jésus tient un rosaire comportant au centre des boules aux reflets métalliques. Toutefois, pour s'intégrer dans un chapelet, les perles de ce type devraient comporter deux petits anneaux ou des passants sur leurs faces supérieure et inférieure, alors que la sphère de la gravure ne possède qu'un anneau. De surcroît, la petite boule située dans le bas de la cassolette en marque l'extrémité. L'hypothèse d'une pomme de senteur (ou pomander) est beaucoup plus vraisemblable. Cet objet pouvait être porté comme pendentif fixé à un rosaire ou à une ceinture, mais aussi relié par une chaînette à une bague. Remplies d'ambre, de musc ou de substances odoriférantes analogues, les pommes de senteur diffusaient un parfum puissant. Utilisée comme modèle par les orfèvres, la forme de ces objets recherchés fut aussi reprise à partir des années 1520 par des horlogers du sud de l'Allemagne, qui y dissimulaient le mécanisme de montres pendentifs.
(1. Hollstein's German 1954- 2018, XLIX, no 115. 2. Munich 2009-2010, no 104 (C. Metzger).3. Munich, Alte Pinakothek, inv. 665 ; Winzinger 1975, no 45)» (.S. Thüringen, 2020).

Bibliographie :
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R. Berliner, 'Ornamentale Vorlageblätter des 15. bis 18. Jahrhunderts', Leipzig, 1926, pl. 64,4
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'Albrecht Altdorfer und sein Kreis. Gedächtnisausstellung zum 400. Todesjahr Altdorfers' cat. exp. Munich, Neue Staatsgalerie, 1938, cat. sous la dir. de Ernst Buchner, Munich, 1938, no 219
F. Winzinger, 'Albrecht Altdorfer. Graphik. Holzschnitte. Kupferstiche. Radierungen', Munich, 1963, no 168
R. Berliner, 'Ornamentale Vorlageblätter des 15. bis 19. Jahrhunderts', II, Munich, 1981, no 62
H. Mielke, 'Albrecht Altdorfer. Zeichnungen, Deckfarbenmalerei, Druckgraphik', cat. exp. Berlin, Staatliche Museen zu Berlin - Kupferstichkabinett, et Ratisbonne, Museen der Stadt Regensburg, 1988, Berlin, 1988, no 59
U. Mielke, 'The New Hollstein German Engravings, Etchings and Woodcuts 1400-1700 : Albrecht and Erhard Altdorfer', Rotterdam, 1997, no e. 96
S. Thüringen, 'Altdorfer entrepreneur. Les eaux-fortes de vases d'apparat' in 'Albrecht Altdorfer. Maître de la Renaissance allemande', Hélène Grollemund, Olivia Savatier Sjöholm, Séverine Lepape, cat. exp. Paris, musée du Louvre, 1er octobre 2020 - 4 janvier 2021, Paris, 2020, pp. 192-199 et n° 48d p. 201, repr.

Physical characteristics

Dimensions
H. 0,057 m ; L. 0,03 m
Materials and techniques
Burin
H. 5,7 ; L. 3 cm (coupé dans la partie inférieure)
Monogrammé AA en haut au milieu

Places and dates

Date
Vers 1525/1530

History

Object history
Œuvre conservée dans le portefeuille n°268 du baron Edmond de Rothschild jusqu'en 2020.
Collector / Previous owner / Commissioner / Archaeologist / Dedicatee
Dernière provenance : Rothschild, baron Edmond de
Acquisition details
don
Acquisition date
1935

Location of object

Current location
Réserve Edmond de Rothschild

The artwork can be seen by appointment in the Louvre's Prints and Drawings Study Room.

Index

Subjects
Techniques

Exhibition history

- Albrecht Altdorfer. Maître de la Renaissance allemande
Etape :
Musée du Louvre, Paris, France - 01 octobre 2020 - 08 mars 2021
Last updated on 25.11.2021
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