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Le Ravissement de saint Paul
1649 / 1650 (Milieu du XVIIe siècle)
INV 7288 ; MR 2325
Département des Peintures
Actuellement visible au Louvre
Salle 826
Aile Richelieu, Niveau 2
Numéro d’inventaire
Numéro principal : INV 7288
Autre numéro d'inventaire : MR 2325
Autre numéro d'inventaire : MR 2325
Collection
Artiste / Auteur / Ecole / Centre artistique
description
Dénomination / Titre
Titre : Le Ravissement de saint Paul
Description / Décor
Agrandissement sur les quatre côtés
Caractéristiques matérielles
Dimensions
Hauteur : 1,48 m ; Hauteur avec accessoire : 1,93 m ; Largeur : 1,2 m ; Largeur avec accessoire : 1,6 m ; Epaisseur avec accessoire : 14 cm
Matière et technique
huile sur toile
Lieux et dates
Date de création / fabrication
Milieu du XVIIe siècle (1649 - 1650)
Données historiques
Historique de l'œuvre
Historique:
Paul Scarron (1610-1660) ; acquis de celui-ci par Everhard Jabach (1618-1695), qui le vend à Armand Jean de Vignerot du Plessis, duc de Richelieu (1629-1715) (cf. Le Comte, 1702) ; acquis de ce dernier pour Louis XIV, 1665 (inventaire Le Brun, no 171, cf. Brejon de Lavergnée (A.), 1987a) ; vestibule (appelé également antichambre) du Petit Appartement de Louis XIV au château de Versailles, 1695, 1701, 1703, 1707 (cf. Lett, 2014) ; cabinet des Tableaux au palais du Luxembourg, Paris, 1751, 1764 (cf. Bailly, 1751) ; au Louvre en 1785 (inventaire Duplessis, no 127) ; exposé à l’ouverture du Muséum (Louvre), 1793 (no 163 du cat. ; cf. Dubreuil, 2001) ; envoyé au musée spécial de l’École française au château de Versailles, 1797 (5e convoi, cf. Cantarel-Besson, 1992 ; A.M.N., 35 DD 1, fol. 6 ; no 204 du Catalogue de l’an X) ; retour au Louvre avant 1810 (Notice, 1810, no 61).
Commentaire:
Paul Scarron, écrivain burlesque et premier époux de Mme de Maintenon, est le commanditaire de l’oeuvre. Cette commande procède des relations amicales nouées entre Paul Fréart de Chantelou, l’ami de Poussin, et Scarron. Cette amitié s’explique par un amour partagé pour la ville du Mans. Poussin précise ainsi, en parlant de Scarron à Chantelou, « votre bon ami et compatriote » (Correspondance Poussin, [1639-1665] éd. 1911, p. 339). Chantelou était bien originaire du Mans et il est demeuré toute sa vie attaché à sa ville de naissance. Paul Scarron n’était pas originaire du Mans, mais il devait à cette ville ses plus belles années de jeunesse (entre 1634 et 1641), la période la plus insouciante de son existence, qui a inspiré son maître livre, Le Roman comique (1651 et 1657). Les circonstances de la commande sont bien connues grâce à la correspondance de l’artiste avec Chantelou, qui a servi d’intermédiaire. En février 1646, Poussin refusa d’abord de répondre au désir que Scarron avait exprimé d’avoir un tableau de sa main. Mais celui-ci ne renonça pas et revint à la charge fin 1647, envoyant même à Poussin son Typhon ou la Gigantomachie, poème burlesque (1644) que l’artiste n’apprécia guère, écrivant à Chantelou : « Je voudrais bien […] que ma peinture ne lui plût non plus que me plaît son burlesque […] Il prétend me faire rire comme les estropiés comme lui ; mais au contraire, j’en devrais pleurer, voyant qu’un nouveau Hérostrate se trouve en notre pays » (Correspondance Poussin, [1639-1665] éd. 1911, p. 378-379). L’artiste va même jusqu’à la vulgarité, écrivant à Chantelou : « Si j’étais obligé de dire mon sentiment des oeuvres de ce bon malade, je dirais, sauf votre respect, qu’il fait des merveilles, car il a le cul rond et fait les étrons carrés » (Correspondance Poussin, [1639-1665] éd. 1911, p. 350). Devant la persévérance de Scarron, Poussin finit par accepter, en janvier 1649, par égards pour Chantelou. Il avait alors imaginé de peindre un « sujet bachique plaisant » qui s’accorderait à la veine burlesque de Scarron (Correspondance Poussin, [1639-1665] éd. 1911, p. 396). Plus d’un an plus tard, le 29 mai 1650, il précisa à Chantelou : « Je pourrai envoyer en même temps à Monsieur l’abbé Scarron son tableau du Ravissement de s[ain]t Paul que vous verrez et vous prierai de m’en dire votre sentiment. » Le « sujet bachique » est donc devenu un Ravissement de saint Paul, mais les raisons de ce changement nous échappent. Le changement complet de sujet (et de mode pictural), aboutissant à ce chef-d’oeuvre d’harmonie et de spiritualité, a dérouté tous les historiens de l’art, au point que Jacques Thuillier l’interprétait comme une « leçon de haute dignité » que Poussin aurait voulu donner à Scarron « au su et vu de tous les amateurs parisiens » (Thuillier, 1974b, p. 106). C’est une hypothèse bien improbable, d’autant qu’il ressort de la correspondance de Poussin un changement d’attitude à l’égard de Scarron. Dans les derniers mois, le peintre emploie des formules plus respectueuses, écrivant le 8 mai 1650, « [le tableau de] Monsieur Scarron votre ami est sur le chantier. Je lui baise les mains » (Correspondance Poussin, [1639-1665] éd. 1911, p. 414) ; jusqu’au remerciement final adressé à Scarron pour les 50 pistoles (500 livres) que Poussin avait reçues en paiement, le peintre exprimant avec humilité son espérance du jugement favorable que l’écrivain voudrait bien faire de son tableau : « je vous supplie très humblement quand vous aurez vu, fait voir et considéré cet ouvrage, de m’en écrire ce qui vous en aura semblé sans rien déguiser afin que je me réjouisse si vous en êtes content » (brouillon de lettre de Poussin à Scarron sur un dessin conservé au British Museum à Londres, inv. 1937,12-11-1 ; cf. Keazor, 1996a). Selon Charles Dempsey, ce changement pourrait résulter de la piété filiale du commanditaire : en effet, le père de l’écrivain burlesque, conseiller à la Grand Chambre du Parlement et prénommé également Paul, avait un attachement de notoriété publique pour la personne et les écrits de l’apôtre. Il avait toujours sur lui un petit volume des Épîtres (cf. Dempsey, 1999). Il s’agissait certainement aussi pour l’écrivain burlesque de finir de se concilier les bonnes grâces de Poussin en imitant Chantelou, lui aussi prénommé Paul, pour lequel Poussin avait peint en 1643 un Ravissement du saint (Sarasota, Ringling Museum). Si la relation formelle entre le tableau peint pour Chantelou et celui peint pour Scarron saute aux yeux, la première version demeure en mode mineur en raison d’un format plus modeste et d’une composition moins puissante. Le Ravissement de saint Paul du Louvre paraît hors du temps tant l’équilibre des formes et l’harmonie du coloris y atteignent un point de perfection. La composition montre saint Paul enlevé au ciel par trois anges, au milieu de nuées, devant une architecture classique très austère. Les attributs du saint, le livre et l’épée, sont demeurés sur une dalle de pierre, tandis qu’un paysage montagneux s’étend jusqu’à l’horizon. On ne sait pas à quelle date Scarron s’est séparé du chef-d’oeuvre de Poussin. Il est probable qu’il l’a vendu dès le moment de son mariage, en 1652, car il avait alors le projet d’aller soigner ses infirmités en Amérique (il avait investi 3 000 livres dans ce voyage, auquel il renonça finalement). Françoise d’Aubigné n’aurait alors vu le tableau qu’à l’hôtel de Troyes, où le mariage se préparait et où il fut conclu. Mais on ne peut exclure que Scarron ait vendu le tableau quelques années plus tard, l’état de ses affaires se dégradant, notamment en raison de son implication dans la Fronde, avec, pour conséquence, l’hostilité persistante de Mazarin. Le couple habitait alors rue Neuve Saint-Louis (aujourd’hui rue de Turenne). Émile Magne n’a pas hésité à décrire le tableau de Poussin « paradant dans un cadre digne de l’oeuvre » dans la salle de l’appartement de Scarron au second étage (Magne, 1924, p. 212). Il est en tout cas certain qu’à la mort de Scarron, en 1660, le tableau de Poussin avait déjà été vendu, l’inventaire après décès ne dénombrant que cinq tableaux de peu de prix, dont une Madeleine pénitente. Rappelons qu’Émile Magne a été l’auteur du premier catalogue raisonné de Nicolas Poussin (avec celui d’Otto Grautoff ), inséré à la fin d’un in-folio monumental dédié au maître des Andelys et paru en 1914. Magne est aussi le biographe de Scarron : la monographie Scarron et son milieu a été publiée en 1905, neuf ans avant son Nicolas Poussin, Premier peintre du Roi. Une nouvelle édition entièrement remaniée et complétée de documents inédits du Scarron et son milieu parut en 1924. L’historien rendit donc un magnifique hommage à Nicolas Poussin au milieu des deux décennies de travail consacrées à Scarron. Entré dès 1665 dans la collection royale, Le Ravissement de saint Paul a été le sujet de deux conférences successives à l’Académie royale de peinture et de sculpture : par Jean Nocret le 6 décembre 1670, puis par Charles Le Brun le 10 janvier 1671. Nocret s’est contenté de louer la composition, le dessin et le coloris. Le Brun est ensuite intervenu pour démontrer que le tableau constitue une « théologie muette », identifiant chacun des trois anges soutenant saint Paul avec l’un des trois états de la grâce : prévenante, aidante et triomphante. Claude III Nivelon, élève et biographe de Le Brun, rapporte qu’à l’issue de la conférence, certains académiciens ont douté que Poussin « pouvait avoir eu ces véritables pensées ». Trois siècles plus tard, les historiens de l’art sont demeurés incrédules. En 1999, Charles Dempsey a été le premier à prendre au sérieux l’interprétation de Le Brun, estimant que la question de la grâce était bien au coeur du passage de l’Épître aux Corinthiens dont Poussin s’était inspiré : « Je connais un homme en Jésus-Christ, qui fut ravi il y a quatorze ans (si ce fut avec son corps, ou sans son corps, je ne sais, Dieu le sait), qui fut ravi, dis-je, jusqu’au troisième ciel » (2 Co, 12, 2). En 2011, Marianne Cojannot-Le Blanc a mis en doute la cohérence de l’interprétation de Le Brun, affirmant que l’« on peut distinguer des aspects, états ou effets (de la grâce), mais ceux-ci ne sont jamais associés au chiffre de trois ». S’il est vrai que dans la théologie de la grâce, depuis saint Augustin, on raisonnait surtout par couples – grâce intérieure-extérieure, prévenante-subséquente, gratuitement donnée- sanctifiante,suffisante-efficace –, on peut cependant trouver des sources anciennes décrivant les trois formes de la grâce décrites par Le Brun. Érasme comptait quatre « variétés » de la grâce, qu’il ramenait aux trois effets décrits par Le Brun : « le premier éveille, le second favorise, le dernier mène au but ». Plus proche de Le Brun, un traité publié par Hyacinthe Le Febvre décrivit précisément, en 1678, trois formes de la grâce qui reflètent assez fidèlement l’interprétation donnée par Charles Le Brun : « Des trois symphonies de la grâce avec le coeur de l’homme […] art. V : Préparer nos coeurs à recevoir la grâce prévenante, art. VI : Porter nos coeurs à coopérer avec la grâce efficace ; art. VII : Assujettir nos coeurs à l’empire de la grâce victorieuse. » Nous pensons donc que le discours de Le Brun est tout à fait pertinent. Rappelons qu’il a été prononcé à un moment où la question de la grâce était débattue par les théologiens. Il répond en tout cas fidèlement à l’exégèse de l’épisode du ravissement de saint Paul. Le tableau de Poussin a été agrandi de deux bandes de 3 cm à droite et à gauche pour être présenté dans le vestibule de l’Appartement du roi au château de Versailles au milieu des années 1680, répondant formellement à L’Adoration des bergers de Jacopo Bassano (château de Fontainebleau ; cf. Milovanovic, 2011). Il a été de nouveau agrandi de 6 cm environ sur tout le pourtour, et sans doute rentoilé par Marie-Jacob Godefroid en 1785. Ces agrandissements demeurent aujourd’hui, mais ils sont masqués par le cadre. Un dessin préparatoire est conservé à l’École nationale supérieure des Beaux- Arts de Paris (plume et encre brune ; 12,9 × 18,7 cm ; inv. Masson 1120 ; cf. Rosenberg (P.) et Prat, 1994, I, no 341). Le tableau a été gravé en contrepartie avant qu’il ne quitte l’Italie par Pietro del Po (cf. Wildenstein (G.), 1957b). L’oeuvre a été peinte sur une toile fine comprenant 18 × 23 fils au cm2 et sur une double préparation : couche profonde rouge surmontée d’une couche grise. La peinture a été restaurée en couche picturale par Georges Zezzos à Montauban en 1941, intervention complétée par le même restaurateur au Louvre en 1956. Le tableau a été de nouveau traité en couche picturale par Nicole Delsaux en 1982 (N. Milovanovic, 2021).
Paul Scarron (1610-1660) ; acquis de celui-ci par Everhard Jabach (1618-1695), qui le vend à Armand Jean de Vignerot du Plessis, duc de Richelieu (1629-1715) (cf. Le Comte, 1702) ; acquis de ce dernier pour Louis XIV, 1665 (inventaire Le Brun, no 171, cf. Brejon de Lavergnée (A.), 1987a) ; vestibule (appelé également antichambre) du Petit Appartement de Louis XIV au château de Versailles, 1695, 1701, 1703, 1707 (cf. Lett, 2014) ; cabinet des Tableaux au palais du Luxembourg, Paris, 1751, 1764 (cf. Bailly, 1751) ; au Louvre en 1785 (inventaire Duplessis, no 127) ; exposé à l’ouverture du Muséum (Louvre), 1793 (no 163 du cat. ; cf. Dubreuil, 2001) ; envoyé au musée spécial de l’École française au château de Versailles, 1797 (5e convoi, cf. Cantarel-Besson, 1992 ; A.M.N., 35 DD 1, fol. 6 ; no 204 du Catalogue de l’an X) ; retour au Louvre avant 1810 (Notice, 1810, no 61).
Commentaire:
Paul Scarron, écrivain burlesque et premier époux de Mme de Maintenon, est le commanditaire de l’oeuvre. Cette commande procède des relations amicales nouées entre Paul Fréart de Chantelou, l’ami de Poussin, et Scarron. Cette amitié s’explique par un amour partagé pour la ville du Mans. Poussin précise ainsi, en parlant de Scarron à Chantelou, « votre bon ami et compatriote » (Correspondance Poussin, [1639-1665] éd. 1911, p. 339). Chantelou était bien originaire du Mans et il est demeuré toute sa vie attaché à sa ville de naissance. Paul Scarron n’était pas originaire du Mans, mais il devait à cette ville ses plus belles années de jeunesse (entre 1634 et 1641), la période la plus insouciante de son existence, qui a inspiré son maître livre, Le Roman comique (1651 et 1657). Les circonstances de la commande sont bien connues grâce à la correspondance de l’artiste avec Chantelou, qui a servi d’intermédiaire. En février 1646, Poussin refusa d’abord de répondre au désir que Scarron avait exprimé d’avoir un tableau de sa main. Mais celui-ci ne renonça pas et revint à la charge fin 1647, envoyant même à Poussin son Typhon ou la Gigantomachie, poème burlesque (1644) que l’artiste n’apprécia guère, écrivant à Chantelou : « Je voudrais bien […] que ma peinture ne lui plût non plus que me plaît son burlesque […] Il prétend me faire rire comme les estropiés comme lui ; mais au contraire, j’en devrais pleurer, voyant qu’un nouveau Hérostrate se trouve en notre pays » (Correspondance Poussin, [1639-1665] éd. 1911, p. 378-379). L’artiste va même jusqu’à la vulgarité, écrivant à Chantelou : « Si j’étais obligé de dire mon sentiment des oeuvres de ce bon malade, je dirais, sauf votre respect, qu’il fait des merveilles, car il a le cul rond et fait les étrons carrés » (Correspondance Poussin, [1639-1665] éd. 1911, p. 350). Devant la persévérance de Scarron, Poussin finit par accepter, en janvier 1649, par égards pour Chantelou. Il avait alors imaginé de peindre un « sujet bachique plaisant » qui s’accorderait à la veine burlesque de Scarron (Correspondance Poussin, [1639-1665] éd. 1911, p. 396). Plus d’un an plus tard, le 29 mai 1650, il précisa à Chantelou : « Je pourrai envoyer en même temps à Monsieur l’abbé Scarron son tableau du Ravissement de s[ain]t Paul que vous verrez et vous prierai de m’en dire votre sentiment. » Le « sujet bachique » est donc devenu un Ravissement de saint Paul, mais les raisons de ce changement nous échappent. Le changement complet de sujet (et de mode pictural), aboutissant à ce chef-d’oeuvre d’harmonie et de spiritualité, a dérouté tous les historiens de l’art, au point que Jacques Thuillier l’interprétait comme une « leçon de haute dignité » que Poussin aurait voulu donner à Scarron « au su et vu de tous les amateurs parisiens » (Thuillier, 1974b, p. 106). C’est une hypothèse bien improbable, d’autant qu’il ressort de la correspondance de Poussin un changement d’attitude à l’égard de Scarron. Dans les derniers mois, le peintre emploie des formules plus respectueuses, écrivant le 8 mai 1650, « [le tableau de] Monsieur Scarron votre ami est sur le chantier. Je lui baise les mains » (Correspondance Poussin, [1639-1665] éd. 1911, p. 414) ; jusqu’au remerciement final adressé à Scarron pour les 50 pistoles (500 livres) que Poussin avait reçues en paiement, le peintre exprimant avec humilité son espérance du jugement favorable que l’écrivain voudrait bien faire de son tableau : « je vous supplie très humblement quand vous aurez vu, fait voir et considéré cet ouvrage, de m’en écrire ce qui vous en aura semblé sans rien déguiser afin que je me réjouisse si vous en êtes content » (brouillon de lettre de Poussin à Scarron sur un dessin conservé au British Museum à Londres, inv. 1937,12-11-1 ; cf. Keazor, 1996a). Selon Charles Dempsey, ce changement pourrait résulter de la piété filiale du commanditaire : en effet, le père de l’écrivain burlesque, conseiller à la Grand Chambre du Parlement et prénommé également Paul, avait un attachement de notoriété publique pour la personne et les écrits de l’apôtre. Il avait toujours sur lui un petit volume des Épîtres (cf. Dempsey, 1999). Il s’agissait certainement aussi pour l’écrivain burlesque de finir de se concilier les bonnes grâces de Poussin en imitant Chantelou, lui aussi prénommé Paul, pour lequel Poussin avait peint en 1643 un Ravissement du saint (Sarasota, Ringling Museum). Si la relation formelle entre le tableau peint pour Chantelou et celui peint pour Scarron saute aux yeux, la première version demeure en mode mineur en raison d’un format plus modeste et d’une composition moins puissante. Le Ravissement de saint Paul du Louvre paraît hors du temps tant l’équilibre des formes et l’harmonie du coloris y atteignent un point de perfection. La composition montre saint Paul enlevé au ciel par trois anges, au milieu de nuées, devant une architecture classique très austère. Les attributs du saint, le livre et l’épée, sont demeurés sur une dalle de pierre, tandis qu’un paysage montagneux s’étend jusqu’à l’horizon. On ne sait pas à quelle date Scarron s’est séparé du chef-d’oeuvre de Poussin. Il est probable qu’il l’a vendu dès le moment de son mariage, en 1652, car il avait alors le projet d’aller soigner ses infirmités en Amérique (il avait investi 3 000 livres dans ce voyage, auquel il renonça finalement). Françoise d’Aubigné n’aurait alors vu le tableau qu’à l’hôtel de Troyes, où le mariage se préparait et où il fut conclu. Mais on ne peut exclure que Scarron ait vendu le tableau quelques années plus tard, l’état de ses affaires se dégradant, notamment en raison de son implication dans la Fronde, avec, pour conséquence, l’hostilité persistante de Mazarin. Le couple habitait alors rue Neuve Saint-Louis (aujourd’hui rue de Turenne). Émile Magne n’a pas hésité à décrire le tableau de Poussin « paradant dans un cadre digne de l’oeuvre » dans la salle de l’appartement de Scarron au second étage (Magne, 1924, p. 212). Il est en tout cas certain qu’à la mort de Scarron, en 1660, le tableau de Poussin avait déjà été vendu, l’inventaire après décès ne dénombrant que cinq tableaux de peu de prix, dont une Madeleine pénitente. Rappelons qu’Émile Magne a été l’auteur du premier catalogue raisonné de Nicolas Poussin (avec celui d’Otto Grautoff ), inséré à la fin d’un in-folio monumental dédié au maître des Andelys et paru en 1914. Magne est aussi le biographe de Scarron : la monographie Scarron et son milieu a été publiée en 1905, neuf ans avant son Nicolas Poussin, Premier peintre du Roi. Une nouvelle édition entièrement remaniée et complétée de documents inédits du Scarron et son milieu parut en 1924. L’historien rendit donc un magnifique hommage à Nicolas Poussin au milieu des deux décennies de travail consacrées à Scarron. Entré dès 1665 dans la collection royale, Le Ravissement de saint Paul a été le sujet de deux conférences successives à l’Académie royale de peinture et de sculpture : par Jean Nocret le 6 décembre 1670, puis par Charles Le Brun le 10 janvier 1671. Nocret s’est contenté de louer la composition, le dessin et le coloris. Le Brun est ensuite intervenu pour démontrer que le tableau constitue une « théologie muette », identifiant chacun des trois anges soutenant saint Paul avec l’un des trois états de la grâce : prévenante, aidante et triomphante. Claude III Nivelon, élève et biographe de Le Brun, rapporte qu’à l’issue de la conférence, certains académiciens ont douté que Poussin « pouvait avoir eu ces véritables pensées ». Trois siècles plus tard, les historiens de l’art sont demeurés incrédules. En 1999, Charles Dempsey a été le premier à prendre au sérieux l’interprétation de Le Brun, estimant que la question de la grâce était bien au coeur du passage de l’Épître aux Corinthiens dont Poussin s’était inspiré : « Je connais un homme en Jésus-Christ, qui fut ravi il y a quatorze ans (si ce fut avec son corps, ou sans son corps, je ne sais, Dieu le sait), qui fut ravi, dis-je, jusqu’au troisième ciel » (2 Co, 12, 2). En 2011, Marianne Cojannot-Le Blanc a mis en doute la cohérence de l’interprétation de Le Brun, affirmant que l’« on peut distinguer des aspects, états ou effets (de la grâce), mais ceux-ci ne sont jamais associés au chiffre de trois ». S’il est vrai que dans la théologie de la grâce, depuis saint Augustin, on raisonnait surtout par couples – grâce intérieure-extérieure, prévenante-subséquente, gratuitement donnée- sanctifiante,suffisante-efficace –, on peut cependant trouver des sources anciennes décrivant les trois formes de la grâce décrites par Le Brun. Érasme comptait quatre « variétés » de la grâce, qu’il ramenait aux trois effets décrits par Le Brun : « le premier éveille, le second favorise, le dernier mène au but ». Plus proche de Le Brun, un traité publié par Hyacinthe Le Febvre décrivit précisément, en 1678, trois formes de la grâce qui reflètent assez fidèlement l’interprétation donnée par Charles Le Brun : « Des trois symphonies de la grâce avec le coeur de l’homme […] art. V : Préparer nos coeurs à recevoir la grâce prévenante, art. VI : Porter nos coeurs à coopérer avec la grâce efficace ; art. VII : Assujettir nos coeurs à l’empire de la grâce victorieuse. » Nous pensons donc que le discours de Le Brun est tout à fait pertinent. Rappelons qu’il a été prononcé à un moment où la question de la grâce était débattue par les théologiens. Il répond en tout cas fidèlement à l’exégèse de l’épisode du ravissement de saint Paul. Le tableau de Poussin a été agrandi de deux bandes de 3 cm à droite et à gauche pour être présenté dans le vestibule de l’Appartement du roi au château de Versailles au milieu des années 1680, répondant formellement à L’Adoration des bergers de Jacopo Bassano (château de Fontainebleau ; cf. Milovanovic, 2011). Il a été de nouveau agrandi de 6 cm environ sur tout le pourtour, et sans doute rentoilé par Marie-Jacob Godefroid en 1785. Ces agrandissements demeurent aujourd’hui, mais ils sont masqués par le cadre. Un dessin préparatoire est conservé à l’École nationale supérieure des Beaux- Arts de Paris (plume et encre brune ; 12,9 × 18,7 cm ; inv. Masson 1120 ; cf. Rosenberg (P.) et Prat, 1994, I, no 341). Le tableau a été gravé en contrepartie avant qu’il ne quitte l’Italie par Pietro del Po (cf. Wildenstein (G.), 1957b). L’oeuvre a été peinte sur une toile fine comprenant 18 × 23 fils au cm2 et sur une double préparation : couche profonde rouge surmontée d’une couche grise. La peinture a été restaurée en couche picturale par Georges Zezzos à Montauban en 1941, intervention complétée par le même restaurateur au Louvre en 1956. Le tableau a été de nouveau traité en couche picturale par Nicole Delsaux en 1982 (N. Milovanovic, 2021).
Détenteur précédent / commanditaire / dédicataire
M. Scarron, Paul, Commanditaire
Duc Richelieu, Armand Jean de Vignerot du Plessis, duc de, Propriétaire
Louis XIV, roi de France, Propriétaire, 1665
Duc Richelieu, Armand Jean de Vignerot du Plessis, duc de, Propriétaire
Louis XIV, roi de France, Propriétaire, 1665
Mode d’acquisition
entrée - Collection de Louis XIV
Propriétaire
Etat
Affectataire
Musée du Louvre, Département des Peintures
Localisation de l'œuvre
Emplacement actuel
Richelieu, [Peint] Salle 826 - Nicolas Poussin (1594-1665) : entre Rome et Paris
Index
Mode d'acquisition
Bibliographie
- Milovanovic, Nicolas, Peintures françaises du XVIIe du musée du Louvre, Editions Gallimard / Musée du Louvre Editions, 2021, p. 195-196, ill; COUL;, n°420
- Da Vinha, Mathieu ; Maral, Alexandre (dir.), Madame de Maintenon. Dans les allées du Pouvoir, cat. exp. (Château de Versailles, 16 avril - 21 juillet 2019), Versailles, Vanves, Chateau de Versailles, Hazan, 2019, p. 12, 28-30, cat. 5
- Marandet, François, « Nouvel élairage sur la carrière de Claude-Guy Hallé (Paris, 1652-1736) à travers douze oeuvres inédites », Les Cahiers d'Histoire de l'Art, n° 15, 2017, p. 25-36, p. 28, p. 34 (coul.), Fig. 28
- Burchard, Wolf, The sovereign artist: Charles Le Brun and the Image of Louis XIV, Londres, Paul Holberton Publishing, 2016, p. 91-92, p. 84 (détail), fig. 61 (coul.)
- Germer, Stefan, Art-Pouvoir-Discours. La carrière intellectuelle d'André Félibien dans la France de Louis XIV, vol. 54, Paris, Maison des sciences de l'homme, (Collection Passages/Passagen), 2016, p. 527
- Gady, Bénédicte ; Milovanovic, Nicolas (dir.), Charles Le Brun (1619-1690), cat. exp. (Louvre-Lens, du 18 mai au 29 août 2016), Lens, Lienart / Louvre-Lens, 2016, p. 23
- Bonfait, Olivier, Poussin et Louis XIV: Peinture et Monarchie dans la France du Grand Siècle, Paris, Hazan, 2015, p. 97, 124, 126, 157, 171, 201, n° 39 (coul.)
- Bétard, Daphné, « Poussin sublime et inaccessible », Beaux-Arts, N° 372, Juin 2015, 2015, p. 98-102, p. 103, coul, p. 103, détail
- Rosenberg, Pierre, Nicolas Poussin : les tableaux du Louvre, Paris, Louvre éditions/ Somogy, 2015, p. 240-247, coul., n° 27
- Szanto, Mickaël ; Milovanovic, Nicolas (dir.), Poussin et Dieu, cat. exp. (Paris, musée du Louvre, 30 mars - 29 juin 2015), Paris, Hazan/ Louvre éditions, 2015, p. 18, 105, 109-110,126, 152, 188, 191-193, 458, cat. 13
- Gady, Bénédicte (dir.), Peupler les cieux - Les plafonds parisiens au XVIIe siècle, cat. exp. (Paris, musée du Louvre, du 20 février au 19 mai 2014), Paris / New York, Louvre éditions/Le Passage, 2014, p. 60
- Milovanovic, Nicolas, Nicolas Poussin: les Quatre saisons, Paris, Somogy/ Louvre éditions, (Solo, 60), 2013, p. 7, p. 45, n° 17
- Cojannot-Le Blanc, Marianne, A la recherche du rameau d'or. L'invention du "Ravissement de saint Paul" de Nicolas Poussin à Charles Le Brun, Nanterre, Presses universitaires de Paris Ouest, 2012,
- Poussin et Moïse. Du dessin à la tapisserie, 1, cat. exp. (Rome, Villa Médicis, 7 avril - 5 juin 2011/ Bordeaux, Musée des Beaux-Arts, 30 juin - 26 septembre 2011), Rome, Drago, 2011,
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- Loire, Stéphane, « Le Salon de 1673 », Bulletin de la Société de l'histoire de l'art français, (1992) 1993, p. 31-68, p. 51
Expositions
- Madame de Maintenon, Versailles (Externe, France), Château - Domaine national de Versailles, 15/04/2019 - 21/07/2019
- Poussin et Dieu, Napoléon, Exposition Temporaire sous pyramide, 30/03/2015 - 29/06/2015
- Louis XIV. L'Homme et le Roi, Versailles (France), Château - Domaine national de Versailles, 20/10/2009 - 07/02/2010
- La querelle du coloris, Epinal (France), Musée départemental d'Art Ancien et Contemporain, 01/07/2004 - 30/09/2004, étape d'une exposition itinérante
- La querelle du coloris, Arras (Externe, France), Musée des Beaux-Arts, 06/03/2004 - 13/06/2004, étape d'une exposition itinérante
- Poussin, Londres (Royaume Uni), Royal Academy of Arts, 19/01/1995 - 13/04/1995, étape d'une exposition itinérante
- Poussin, Paris (France), Galeries nationales du Grand Palais, 27/09/1994 - 02/01/1995, étape d'une exposition itinérante
Dernière mise à jour le 30.03.2022
Le contenu de cette notice ne reflète pas nécessairement le dernier état des connaissances
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