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La tia chorriones enciende la Oguera (La tante chorriones attise le feu).

Vers 1796/1797
RFML.AG.2022.38.1, Recto
Département des Arts graphiques
Numéro d’inventaire
RFML.AG.2022.38.1, Recto
Collection
Département des Arts graphiques
Cabinet des dessins
Fonds des dessins et miniatures
Artiste / Auteur / Ecole / Centre artistique
Goya y Lucientes, Francisco de (1746-1828)
Ecole espagnole

description

Dénomination / Titre
La tia chorriones enciende la Oguera (La tante chorriones attise le feu).
Description / Décor
Commentaire :
A la mort de Goya en 1828, 539 dessins demeuraient conservés dans huit carnets. Si cet ensemble est aujourd'hui démembré, les historiens de l'art se sont attachés tout au long des décennies à déterminer ce qui était regroupé dans chacun des carnets et à restituer l'ordre des dessins. L'album B, dit de Madrid, auquel appartient le dessin aujourd'hui offert à la vente, avait été commencé en 1796 en Andalousie, peut-être à Sanlucar, lorsque Goya résidait chez la duchesse d'Albe, Maria Teresa Cayetana de Silva, plus probablement à Cadix où il logea pendant l'hiver 1796-1797. Il fut achevé à Madrid après son retour d'Andalousie début avril 1797. Exécuté sur du papier hollandais, il réunissait des scènes de vie quotidienne, sujets de délassement ou de courtoisie, et à partir de la page 55, tout un ensemble de caricatures et de thèmes ironiques accompagnés de titres dénonçant la stupidité et le pêché. D'un tracé enlevé, les dessins gagnaient en intensité, en particulier en jouant des effets de clair-obscur obtenus à l'aide des lavis d'encre. La manière même de décrire les êtres humains en exagérant les anatomies et en leur donnant un caractère anguleux ou même animal contribuait aussi amplement à la satire. Sur l'ensemble des dessins de l'album B, un peu moins d'une centaine, quatorze servirent à l'artiste pour sa série des Caprices gravée à l'eau-forte, à l'aquatinte et à la pointe sèche.
Œuvre emblématique du maître critiquant le comportement humain et donnant la part belle aux visions délirantes de figures étranges, la série des Caprices était achevée le 17 janvier 1799, date à laquelle la Comtesse-Duchesse de Benavente avait payé Goya pour quatre exemplaires imprimés de la suite. L'album B avait en effet permis au maître de s'exercer au monde des grimaces, de la laideur et du grotesque, et pour la première fois, de la sorcellerie, soit des thèmes qu'il souhaitait empreints de morale qui allaient nourrir le reste de son œuvre. Ainsi que Pierre Gassier le soulignait en 1973 dans son remarquable travail dédié aux albums, Goya connut une profonde métamorphose dans le courant de l'année 1797. Transformé par les souffrances physiques qu'il avait connues depuis quatre ans et par l'insuccès de sa relation amoureuse vécue à Sanlucar avec la duchesse d'Albe, l'artiste s'ouvrit en raison de son milieu madrilène aux spéculations morales et politiques des « ilustrados » que furent Jovellanos, Bernardo de Iriarte, Céan Bermùdez, le poète Meléndez Valdès ou l'abbé Juan Antonio Melón, penseurs acquis aux idées nouvelles. Le rôle exercé par le poète Leandro Fernandez de Moratin ne fut pas non plus négligeable, en particulier dans le domaine de la pratique de la sorcellerie dont il se fit l'exégète auprès de ses amis lorsqu'il entreprit la réédition annotée du « Procès-verbal de l'autodafé célébré à Logroño en 1610 ». L'album B contient ainsi les deux premiers dessins à sujet de sorcières dans l'œuvre du maître. Il est aussi celui qui accorde pour la première fois une place majeure aux mots. A partir du dessin 55, les feuilles sont en effet légendées, parfois d'un simple mot, à l'exemple de « Mascaras », « Brujas » ou « Caricat », puis de plusieurs mots et de courtes phrases à la fois descriptives et humoristiques dont le sens contribue indéniablement à la force de l'image. Numérotées, les feuilles comportent également, parfois, des légendes complétées à la plume ou complètement écrites de cette façon. Gassier propose d'y reconnaître des ajouts postérieurs de la main du maître, ou des inscriptions faites par son fils Javier qui renumérota l'ensemble à l'aide d'une plume qui semble avoir également servi pour les mots.
Bien connue des spécialistes de Goya et publiée à de nombreuses reprises, la feuille double face qui passe en vente compte parmi les œuvres emblématiques de l'album.
Au recto, illustrant la page 89, la légende mentionne « Brujas » et est complétée de l'annotation « La tia chorriones enciende la Oguera » (La tante chorriones attise le feu). Avec celui de la page 88 décrivant des sorcières prêtes à voler (collection particulière), le dessin constitue la première illustration de la thématique des sorcières et annonce les nombreux sujets moralisateurs des « Caprices ». Il est intéressant de souligner que Goya donna deux versions du sujet (Musée du Prado, Dessin n° D04192) et que celles-ci lui servirent pour l'estampe 69 des « Caprichos » (Musée du Prado, Estampe, n° G002157). Le dessin de l'album B est d'un graphisme libre qui joue des effets d'ombre et de lumière et trace les corps avec liberté. Il aida Goya à mettre en place sa composition. Le dessin du musée du Prado (inv. D 04192) est d'une exécution plus soignée à la plume et encre métallo-gallique brune. Le tracé en est finement abouti afin de permettre à l'artiste de transcrire son sujet dans le vernis couvrant la plaquette de cuivre de son eau-forte. Comme à son habitude, Goya apporta encore des modifications lorsqu'il grava son sujet, en particulier pour le groupe de personnages apparaissant en partie supérieure à l'arrière-plan. Mettant en scène la « tía Chrorriones » qui se sert d'un enfant comme d'un soufflet pour attiser un brasero contenant des ossements, le sujet a pour titre « Sueño de brujas consumadas » (Rêve de sorcières consommées) sur le dessin du Prado, et « Sopla » (Il souffle) sur l'eau-forte. Il fait à la fois référence au thème des passions brûlantes et des pratiques illicites imposées aux petits enfants par leurs aînés et au proverbe populaire : « El hombre es fuego, la mujer estopa, venga el diablo y sopla » (L'homme est feu, la femme paralyse, vient le diable et il attise). Il est particulièrement intéressant d'avoir conservé les trois œuvres, dessins préparatoires et estampe, car le processus de création du maître y trouve une merveilleuse illustration, de l'idée fixée dans toute sa force évocatrice à l'image plus aboutie, presque plus anecdotique dans la multiplication des détails.
Œuvre clé, l'album B était représenté dans les collections du Louvre par deux autres pages double face, l'une décrivant une scène de torture (« Es dia de su santo ») et au verso un sujet de caricature (RF6912), l'autre la terrible image de la vieille femme découpée à la scie (« Parten la vieja ») avec au verso un sujet d'hermaphrodite (RF6914). Cette troisième page comprenant l'un des tous premiers sujets de sorcellerie connus dans l'œuvre du maître est un enrichissement majeur. (Note du dossier d'acquisition, novembre 2022, Xavier Salmon).
Eleanor A. Sayre, « Eight Books of Drawings by Goya - I", Burlington Magazine, janvier 1964, p. 19-30, n° 57 et 58.
Pierre Gassier et Juliet Wilson, Vie et œuvre de Francisco Goya, Paris, 1970, p. 160, 162, 174, repr. N° 417-418.
Pierre Gassier, Les Dessins de Goya, Les albums, Fribourg, Office du Livre, 1973, notices p. 130 et 131, repr. en N&B p. 89 et 90.
Juliet Wilson-Bareau, Goya. La década de los Caprichos. Dibujos et aguafuertes, Madrid, 1992, p. 97, n° 57 et n° 58.
Xavier Salmon, « Acquisitions/Arts graphiques. Des sorcières de Goya au Louvre », dans 'Grande Galerie. Le Journal du Louvre', printemps 2023, n°62, p. 32-33 (repr.).
Xavier Salmon, Sous l'oeil de Goya : sorcières et femme trompée, La Revue des Musées de France, Revue du Louvre, 2023-3, p. 20-21, fig. 2, p. 21.

Caractéristiques matérielles

Dimensions
H. 0,23 m ; L. 0,14 m
Matière et technique
Lavis de sépia. Titré en haut à la plume. En haut à droite, au pinceau, le chiffre 57, et, plus haut, à la plume, le chiffre 12. En haut à gauche, au crayon, la lettre 9 ? En bas, légendé au pinceau « Brujas » et à la plume « à recoger ».

Lieux et dates

Date de création / fabrication
Vers 1796/1797

Données historiques

Historique de l'œuvre
Album «B» dit de Madrid, série exécutée entre 1796 et 1797 ; en 1828, Collection Javier Goya y Bayeu (1784-1854) ; en 1854, Collection Mariano Goya y Goicoechea (1806-1874) ; Ca. 1855-1860, Madrid, Collection Federico de Madrazo y Kuntz (1815-1894) et/ou Roman Garreta y Huerta ; Grace à l'intermédiaire de Paul Lebas, vente anonyme, Paris, Hôtel Drouot, 3 avril 1877, ensemble de 105 dessins par Francisco Goya, n° 73 «La tante Chorriones allume le bûcher» ; Collection Paul Meurice (1818-1905), sa vente, Paris, Hôtel Drouot, 25 mai 1906, n° 97 (recto seulement) «Brujas à recoger» (en 1973, Pierre Gassier, auteur du catalogue raisonné des dessins de Goya, indique que la feuille a été adjugée à Alfred Strölin pour 120 francs) ; Collection Alfred Strölin (1871-1955) ; vente Paris, Galerie Charpentier, 9 avril 1957, n° 4, comme provenant de la collection Paul Meurice (sans mention de Strölin) ; Pierre Gassier (cf. 1973) indiquait que le dessin appartenait à une collection particulière parisienne.
AuctionArt - Rémy Le Fur & associés (Paris), Hôtel Drouot, vente du 29 novembre 2022, « Collection d'un grand amateur et à divers », lot n° 24 ; préempté pour le compte de l'Etat. Commission des acquisitions du 23 novembre 2022.
Mode d’acquisition
achat
Date d’acquisition
2022

Localisation de l'œuvre

Emplacement actuel
Petit format

L'œuvre est visible sur rendez-vous en salle de consultation des Arts graphiques.
Dernière mise à jour le 04.10.2023
Le contenu de cette notice ne reflète pas nécessairement le dernier état des connaissances