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Portrait de Lisa Gherardini, épouse de Francesco del Giocondo, dit La Joconde ou Monna Lisa
1503 / 1519 (1e quart du XVIe siècle)
INV 779 ; MR 316
Département des Peintures
Actuellement visible au Louvre
Salle 711
Aile Denon, Niveau 1
Numéro d’inventaire
Numéro principal : INV 779
Autre numéro d'inventaire : MR 316
Autre numéro d'inventaire : MR 316
Collection
Artiste / Auteur / Ecole / Centre artistique
Léonard de Vinci (Leonardo di ser Piero da Vinci, dit Leonardo da Vinci)
(Vinci (Florence), 1452 - Amboise, 1519)
Italie École de
Italie École de
description
Dénomination / Titre
Titre : Portrait de Lisa Gherardini, épouse de Francesco del Giocondo, dit La Joconde ou Monna Lisa
Titre d'usage : La Joconde
Titre d'usage : La Joconde
Description / Décor
Caractéristiques matérielles
Dimensions
Hauteur : 0,794 m ; Largeur : 0,534 m
Matière et technique
huile sur bois (peuplier)
Lieux et dates
Date de création / fabrication
1e quart du XVIe siècle (1503 - 1519)
Données historiques
Historique de l'œuvre
Provenance:
Ce tableau fut commencé vers 1503 au moins, sans doute pour Francesco del Giocondo, gentilhomme florentin (1460-1539), mais fut conservé par Léonard de Vinci jusqu'à la fin de sa vie pour en pursuivre l'exécution picturale toujours inachevée à sa mort ; il fut très probablement acquis par François Ier en 1518.
Commentaire :
Un faux problème d’identité
C’est seulement depuis le XXe siècle que certains historiens, mais plus souvent des amateurs en mal de reconnaissance, s’évertuent à imaginer des identités nouvelles et alternatives à ce portrait de femme, alors qu’une solide tradition née dès le XVIe siècle permet d’assurer qu’il représente Lisa Gherardini (Florence, 1479 – 1542).
Appartenant à une ancienne famille de seigneurs, propriétaires terriens dans le Chianti, Lisa Gherardini épousa en 1495 Francesco del Giocondo (Florence, 1465 – 1538), marchand de soie à Florence, avec lequel elle eut six enfants. Malgré les remarquables recherches de Giuseppe Pallanti sur cette famille dans les archives, on sait finalement peu de choses sur leur vie. Francesco était en contact, au moins depuis 1497, avec le père de Léonard, Ser Piero da Vinci, qui était notaire. Il avait aussi des contacts avec l’église de la Santissima Annunziata où Léonard semble avoir logé à son retour à Florence en 1500. C’est peut-être par ces liens que le marchand de soie rencontra l’artiste.
Si l’on en croit Giorgio Vasari, dans la biographie de Léonard qu’il publia en 1550 (Vies des plus célèbres peintres, sculpteurs et architectes), c’est Francesco del Giocondo qui sollicita le maître pour peindre le portrait de son épouse. Le tableau était déjà commencé au mois d’octobre 1503, comme l’atteste un document de la bibliothèque de Heidelberg découvert en 2005. Il s’agit d’une note manuscrite d’Agostino Vespucci, collaborateur de Machiavel à la chancellerie de Florence. Ce dernier connaissait Léonard, pour lequel il traduisit un texte latin sur la bataille d’Anghiari. En lisant un passage des Lettres familières de Cicéron où il est fait allusion au peintre de l’Antiquité Apelle, qui avait laissé une peinture de Vénus inachevée, Vespucci nota dans la marge de son livre :
« Ainsi fait Léonard de Vinci dans toutes ses peintures. Comme est la Tête de Lisa del Giocondo, et celle d’Anne, mère de la Vierge. Nous verrons ce qu’il fera pour la salle du Grand Conseil dont il est déjà convenu avec le gonfalonier. Octobre 1503 »
Cette annotation a permis de préciser la chronologie de l’œuvre mais a surtout confirmé l’identification traditionnelle du modèle due à Giorgio Vasari dans ses Vies des plus célèbres peintres, sculpteurs et architectes publiées à Florence en 1550 :
« Lionardo entreprit pour Francesco del Giocondo de faire le portrait de sa femme Mona Lisa et le laissa inachevé après y avoir peiné quatre années, lequel ouvrage se trouve aujourd’hui chez le roi de France à Fontainebleau. En cette tête, qui voulait voir combien l’art peut imiter la nature le pouvait aisément comprendre, car les plus petits détails que la finesse permet de peindre y étaient contrefaits. Car les yeux avaient ce lustre et cette eau que l’on voit toujours chez les vivants, et l’on apercevait autour d’eux tous ces roses bleutés, ainsi que les cils, qui ne se peuvent faire sans la plus grande finesse. Les sourcils, pour y avoir fait la manière dont les poils naissent de la peau, ici plus denses, là plus rares, et celle dont ils se courbent selon les pores de la peau, ne pouvaient être plus naturels. Le nez, aux belles ouvertures, roses et tendres, semblait vivant. La bouche avec sa fente, aux extrémités bien unies par le jeu du rouge de la bouche et de l’incarnat du visage, ne paraissait point couleurs mais chair véritable. Au creux de la gorge, qui regardait intensément voyait battre le pouls, et l’on peut dire en vérité que cette œuvre fut peinte de manière à faire trembler et craindre tout artiste valeureux, et qui que ce fût. Il usa encore de cet artifice que, Mona Lisa étant fort belle, pendant qu’il la portraiyait, il faisait jouer ou chanter et avait continuellement recours à des bouffons qui la fissent demeurer gaie, afin d’ôter cette mélancolie que la peinture a coutume de donner lorsque l’on fait des portraits. Et dans celui de Lionardo était un si plaisant sourire, que c’était œuvre à voir plus divine qu’humaine, et elle était tenue pour merveille parce que la vie ne se présente pas autrement. » (Traduction de Louis Frank)
Vasari n’a jamais vu le tableau, conservé en France depuis l’installation de Léonard en 1516, mais il a dû disposer de bons informateurs italiens qui avaient séjourné à Fontainebleau. Par ailleurs, Vasari réside souvent à Florence où vit la famille des Giocondo. Il prépare son grand ouvrage des Vies dans les années 1540, à une époque où Francesco del Giocondo vient de mourir, peu avant son épouse Lisa qui décède en 1542. En 1550, deux de leurs enfants sont encore vivants, et il y avait encore d’autres membres de cette famille bien établie à Florence. L’histoire du portrait de Lisa del Giocondo était sans aucun doute un fait célèbre et bien connu dans la bonne société florentine, d’où la grande fiabilité du témoignage de Vasari.
En France, Lisa Gherardini était en revanche inconnue mais on continua à l’appeler comme en Italie : « Monna Lisa », contraction de « Madonna Lisa » (Madame Lise), ou « La Joconde », francisation de « La Gioconda », féminisation du nom de famille de son époux Giocondo.
Une source contradictoire ?
Des historiens ont parfois contesté la cohérence de ces témoignages, en utilisant un autre document très important : le journal de voyage du cardinal d’Aragon, rédigé par Antonio de Beatis. En déplacement en France, le prélat rendit visite à Léonard de Vinci le 10 octobre 1517 dans le château du Clos-Lucé, et admira trois tableaux dont celui « d’une certaine dame florentine faite au naturel sur les instances de feu le Magnifique Julien de Médicis ».
Julien de Médicis était le troisième fils de Laurent le Magnifique et le frère du pape régnant alors, Léon X, qui l’avait nommé duc de Nemours. Ce prince fut le dernier mécène italien de Léonard, de 1513 à sa mort en 1516, l’accueillant à Rome dans le palais du Belvédère.
Selon ce témoignage, l’effigie représente bien une dame florentine, ce qui est le cas de Lisa Gherardini, mais elle aurait été faite à la demande de Julien de Médicis, ce qui est étonnant car on ne lui connait pas de lien avec Monna Lisa et cela semble aller à l’encontre du texte de Vasari affirmant que c’est son époux qui commanda le tableau.
Comment expliquer cette contradiction ? Quelques historiens ont supposé que le portrait montré par Léonard n’était tout simplement pas la Joconde, mais un autre tableau, peut-être « la Joconde nue » connue notamment par un carton préparatoire (Chantilly, musée Condé). Cela parait peu probable car cette image n’est pas un portrait mais une image de Vénus. Quant à un autre portrait perdu et non identifiable, cela parait encore plus incroyable tant les compositions de Léonard ont été célébrées et copiées dès leur création.
Des historiens ont donc supposé que la « dame florentine » était bien la Joconde du Louvre représentant bel et e bien Monna Lisa, et qu’il y avait dû y avoir une idylle entre elle et Julien, mais sans pouvoir le prouver. D’autres ont en revanche déclaré que le texte de Beatis prouvait que la Joconde du Louvre ne représentait pas Lisa del Giocondo, mais plutôt une maîtresse de Julien de Médicis. De faibles hypothèses ont été développées en faveur d’une identification à Isabella Gualanda (pourtant napolitaine et dont les liens avec Julien de Médicis ne sont pas connus) ou à Pacifica Brandani (mère du fils illégitime de Julien, Hippolyte, morte en 1511 et qui aurait été peinte à partir de 1513 par Léonard).
Il semble en fait plus pertinent d’interpréter le témoignage de Beatis à l’aune de l’extraordinaire liberté dont Léonard disposait vis à vis de ses obligations auprès des commanditaires. Plusieurs de ses œuvres ont été commencées pour une commande précise, mais furent finalement laissées inachevées (Adoration des Mages de la galerie des Offices) ou données à quelqu’un d’autre (première version de la Vierge aux rochers au Louvre). Souvenons-nous aussi qu’en 1508, le maître écrivait au gouverneur du Milanais, Charles d’Amboise, qu’il emportait de Florence vers Milan « deux tableaux, où il y a deux Notre Dame de grandeur différente, lesquelles j’ai commencées pour le Roi Très Chrétien ou pour qui vous plaira ». Etonnante remarque, en apparence désinvolte pour une commande royale ! C’est sans doute dans cet esprit qu’il faut interpréter la discussion entre Léonard et le cardinal d’Aragon, tous deux italiens et évoquant la mémoire d’une connaissance commune, le frère du pape régnant. Léonard aura simplement rappelé au prélat qu’il avait travaillé à la Joconde pour Julien de Médicis, mécène de l’artiste, qui devait naturellement admirer le tableau et vouloir l’acquérir.
Aussi, dans l’état actuel des connaissances, on peut affirmer que la Joconde représente Lisa del Giocondo et qu’elle fut peut-être commandée par son époux Francesco. Comme pour ses autres tableaux, Léonard a dû y travailler lentement, créant peu à peu un merveilleux chef d’œuvre séduisant ses mécènes successifs, Louis XII (de 1507 à 1512), Julien de Médicis (de 1513 à 1516) et finalement François Ier qui parvint à l’acquérir.
Une acquisition de François Ier
C’est seulement en 1999 que l’historien Bertrand Jestaz est parvenu à expliquer le destin des peintures que Léonard avait emportées avec lui en France en 1516. Il a découvert un document aux Archives nationales à Paris, attestant d’un paiement considérable de 2604 livres, de François Ier à Salaì, un des plus fidèles élèves de Léonard, en 1518 « pour quelques tables de paintures qu’il a bailles au Roy ». Étant donné l’énormité de la somme, ces tableaux donnés au souverain sont certainement les originaux du maître. Ce dernier a vraisemblablement commencé à organiser sa succession : pour Salaì, qui vivait désormais à Milan, le fruit de la vente des tableaux dès 1518, tandis que l’autre favori, Francesco Melzi qui vivait avec lui au Clos-Lucé, devait hériter seulement après sa mort de tous ses manuscrits et dessins.
Une œuvre très fragile mais bien conservée
Léonard a peint ce portrait sur une fine planche de bois de peuplier, une essence assez courante en Italie et notamment à Florence. Il choisit un support de grande dimension, environ 79,4 cm de haut sur 53,4 de large, afin de représenter le modèle à échelle naturelle.
Avec le temps, ce panneau s’est altéré : le bois, très sensible aux variations hygrométriques, est devenu légèrement convexe et s’est même fendu. Sur la face, une fente de 11 cm part du haut du panneau, traverse le cuir chevelu et s’arrête, presque miraculeusement, au niveau du front. Au revers, cette fissure a été anciennement stabilisée par la pose de deux papillons et de morceaux de toile. Les mouvements du panneau, contraints par un cadre, ont provoqué différents réseaux de craquelures très visibles aujourd’hui.
Contrairement à ce qui a parfois été écrit, le support n’a jamais été coupé comme le prouvent les bords nus du panneau et une « barbe », la crête de matière picturale formée contre le châssis de travail qui entourait le bois afin de faciliter la manipulation pendant l’exécution picturale.
En 1956, l’œuvre a été vandalisée par un déséquilibré qui lui jeta une pierre, brisant le verre protecteur et abimant un peu le coude gauche.
La peinture est aujourd’hui recouverte de nombreuses couches de vernis épaisses, irrégulières et oxydées, qui ont été posées après la mort de l’artiste au cours de diverses interventions de restauration. Ces couches non originales ont vieilli et forment désormais un filtre jaune transformant toute la palette des couleurs (notamment le bleu du ciel en vert) et assombrissant plusieurs parties de la composition, principalement le bas.
Hormis ces divers problèmes, l’œuvre est dans un bon état de conservation mais demeure intrinsèquement très fragile.
L’éclairage des examens de laboratoire
Les examens scientifiques, et notamment la réflectographie infrarouge, permettent heureusement de mieux comprendre la composition du portrait. Monna Lisa est assise sur un siège au dossier arrondi tenu par des balustres, que l’on appelle « a pozzetto ». Le siège est disposé presque perpendiculairement à nous, devant une petite balustrade décorée de moulurations rectangulaires. Le sol de la pièce est légèrement éclairé par la lumière provenant de l’extérieur. Aux extrémités de la balustrade, on distingue deux colonnettes qui encadrent un vaste paysage de chaines de montagnes bordées de cours d’eau. A gauche, une route sinueuse travers les monts tandis qu’à droite un pont traverse la rivière.
Un grand voile de soie
Le vêtement de Monna Lisa est aujourd’hui davantage discernable dans l’image de réflectographie infrarouge. On le comprend également mieux en observant la copie réalisée dans l’atelier de Léonard, récemment restaurée et conservée au musée du Prado. La Joconde porte une robe de couleur probablement vert sombre, avec des manches amovibles jaunes. On voit une chemise blanche ressortir du crevé au niveau de l’épaule. Sa robe est recouverte d’un grand voile de soie transparente fixé au niveau de la poitrine par des fils d’or brodés qui forment des entrelacs géométriques. Ce voile est légèrement remonté sur son coude droit et largement replié sur son épaule gauche.
Sa tête est également recouverte d’un voile transparent qui descend sur ses épaules. Contrairement à ce qui a parfois été écrit, ses cheveux ne sont pas complètement détachés car seules quelques mèches tombent sur les côtés du visage, le reste étant maintenu à l’arrière en chignon et retenu par un bonnet dont le contour est visible dans la réflectographie infrarouge.
L’assombrissement des couleurs du tableau dû aux couches de vernis oxydés expliquent en partie l’apparente sobriété de l’habit de la Joconde, parfois interprétée comme une tenue de deuil. En réalité, même si elle n’arbore pas de bijou, Lisa porte un costume à la mode florentine du temps, riche et sophistiqué, colorée également, ce qui n’est guère étonnant pour l’épouse d’un riche marchand de soie.
L’identification du grand voile de soie recouvrant la robe continue de faire débat. On y a vu un « guarnello » qui pourrait être une tenue caractéristique des femmes enceintes, comme dans le portrait de Smeralda Bandinelli peint par Botticelli (Londres, Victoria and Albert Museum). Monna Lisa ne présente cependant pas de ventre rebondi comme dans ce tableau. Aussi, d’autres historiens ont supposé que ce voile n’était qu’une invention de Léonard, fasciné par les jeux de transparence, afin de cacher un peu la tenue à la mode florentine et donner ainsi au portrait un caractère plus intemporel.
Une habile synthèse d’inventions flamandes
La mise en scène de Lisa del Giocondo s’inspire de portraits flamands très appréciés dans l’Italie de la Renaissance, notamment la présentation de trois quarts du modèle au lieu du traditionnel profil, qui avait déjà été retenu par l’artiste dans ses précédents portraits. La disposition de la figure devant une balustrade ouverte sur un paysage se retrouve dans plusieurs tableaux nordiques, tel le portrait de Benedetto Portinari peint par Memling en 1487 (Florence, galerie des Offices). Les mains jointes apparaissent aussi régulièrement dans les effigies flamandes, souvent posées au premier plan.
Le génie de Léonard est de reprendre ces dispositifs tout en leur donnant une cohérence naturelle. La pose de trois quarts n’est pas figée mais devient la conclusion d’un mouvement de torsion du corps vers le spectateur. De fait, les mains ne sont plus posées artificiellement sur le bord de la composition, sur une sorte de parapet, mais sont appuyées naturellement sur l’accoudoir du siège à pozzetto, le main droite venant de rejoindre la gauche. Si pour le théoricien de l’art Alberti, la peinture doit être une fenêtre ouverte, Léonard semble vouloir donner ici l’impression d’une porte ouverte : en découvrant le portrait, le spectateur a l’impression d’être accueilli par Lisa del Giocondo, représentée à l’échelle naturelle, assise sur la terrasse d’une villa et qui se tourne vers lui à son arrivée, en lui adressant un aimable sourire. Cette douce torsion du corps aboutit à une pose pleine de convenance qui relevait sans doute des codes de maintien dans la bonne société florentine.
Le plus célèbre sourire
Léonard représente ainsi l’épouse de Francesco del Giocondo en mère de famille vertueuse, mais sans l’expression distante voire altière des représentations anciennes et contemporaines. Il veut révéler les sentiments intérieurs du modèle à travers son sourire.
Cette expression est rare dans les portraits, mais on la trouve avant Léonard, par exemple chez Antonello da Messina. Le sourire se retrouve également dans plusieurs œuvres sacrées de l’artiste, la Sainte Anne et le Saint Jean Baptiste du Louvre qui sont des créations contemporaines de la Joconde.
Léonard a sans doute choisi cette expression pour donner au visage un aspect beau et gracieux, mais également pour créer une communication immédiate et très efficace avec le spectateur. Ce sourire de bienvenue l’invite dans les pensées de Monna Lisa. Mais Léonard suggère seulement ses émotions sans en révéler la cause.
Ce sourire pouvait aussi s’interpréter comme un jeu onomastique : « Giocondo » signifie en italien « heureux ». La Gioconda est donc une femme heureuse dont l’emblème naturel est le sourire.
La science du sfumato
Pour donner vie au mouvement de la figure et à son subtil sourire, Léonard a perfectionné à un degré extraordinaire sa technique de peinture à l’huile. La Joconde est, avec la Sainte Anne et le Saint Jean Baptiste, son œuvre maîtresse dans ce domaine. Elle a d’ailleurs dû constituer pour lui une sorte d’expérimentation qu’il a poussée le plus loin possible, laissant son œuvre en partie inachevée, comme cela est visible dans l’ébauche de terrain en bas du paysage à droite. Le visage est construit par d’imperceptibles transitions de l’ombre à la lumière, élaborées par de fines couches de glacis (des couches huileuses à peine chargées de pigment), qui estompent les contours, créant ainsi un effet de « sfumato » (estompage).
Le paysage présente des effets tout aussi raffinés de fondu pour créer un effet saisissant de perspective atmosphérique. Contrairement à ce qui a parfois été écrit, il n’y a pas de différence de hauteur de ligne d’horizon entre les parties droite et gauche : la ligne horizontale constituée par le point d’eau à droite se poursuit à gauche, en partie cachée par les montagnes.
De Monna Lisa à La Joconde
Il est fort probable qu’au cours de sa lente exécution, le tableau soit devenu plus que le simple portrait de Monna Lisa. L’identité du modèle est devenue peu à peu secondaire, et l’on a admiré cette image avant tout pour son extraordinaire restitution de la vie, aussi bien physique et psychologique, le symbole de la science divine de la peinture (selon le concept développé par l’artiste) capable de recréer la vie dans toute sa complexité.
Le tableau le plus célèbre du monde
L’œuvre a fasciné les contemporains de Léonard, notamment les artistes qui s’en sont inspiré pour leur propre portrait, tel le jeune Raphaël qui l’admire lors de son séjour à Florence entre 1504 et 1508. Des copies en ont été faites dès le XVIe siècle et l’on en connait aujourd’hui plus d’une centaine.
Le texte de Giorgio Vasari, publié en 1550, en a fait l’un des principaux chefs-d’œuvre de la peinture italienne, inaugurant ainsi le mythe de la Joconde. A partir de la seconde moitié du XIXe siècle, des hommes de lettre en ont livré des descriptions passionnées qui ont forgé l’idée d’une beauté fatale et énigmatique, à l’origine du mythe saugrenu d’un secret caché dans le tableau.
Le vol de l’œuvre par Vincenzo Peruggia, ouvrier vitrier au musée du Louvre, en 1911, lui a donné une célébrité mondiale et surtout plus populaire. La Joconde est devenue, après sa redécouverte en 1913, le principal chef-d’œuvre du Louvre, l’œuvre la plus célèbre au monde, source inépuisable de détournements aussi bien artistiques que publicitaires. Elle fut très exceptionnellement l’ambassadrice de la France en 1963 aux Etats-Unis (sous le Général de Gaulle et John Fitzgerald Kennedy), puis au Japon et dans l’ex-URSS en 1974, mais demeure depuis au Louvre, en raison de son extrême fragilité.
(Texte de Vincent Delieuvin, juillet 2021)
Ce tableau fut commencé vers 1503 au moins, sans doute pour Francesco del Giocondo, gentilhomme florentin (1460-1539), mais fut conservé par Léonard de Vinci jusqu'à la fin de sa vie pour en pursuivre l'exécution picturale toujours inachevée à sa mort ; il fut très probablement acquis par François Ier en 1518.
Commentaire :
Un faux problème d’identité
C’est seulement depuis le XXe siècle que certains historiens, mais plus souvent des amateurs en mal de reconnaissance, s’évertuent à imaginer des identités nouvelles et alternatives à ce portrait de femme, alors qu’une solide tradition née dès le XVIe siècle permet d’assurer qu’il représente Lisa Gherardini (Florence, 1479 – 1542).
Appartenant à une ancienne famille de seigneurs, propriétaires terriens dans le Chianti, Lisa Gherardini épousa en 1495 Francesco del Giocondo (Florence, 1465 – 1538), marchand de soie à Florence, avec lequel elle eut six enfants. Malgré les remarquables recherches de Giuseppe Pallanti sur cette famille dans les archives, on sait finalement peu de choses sur leur vie. Francesco était en contact, au moins depuis 1497, avec le père de Léonard, Ser Piero da Vinci, qui était notaire. Il avait aussi des contacts avec l’église de la Santissima Annunziata où Léonard semble avoir logé à son retour à Florence en 1500. C’est peut-être par ces liens que le marchand de soie rencontra l’artiste.
Si l’on en croit Giorgio Vasari, dans la biographie de Léonard qu’il publia en 1550 (Vies des plus célèbres peintres, sculpteurs et architectes), c’est Francesco del Giocondo qui sollicita le maître pour peindre le portrait de son épouse. Le tableau était déjà commencé au mois d’octobre 1503, comme l’atteste un document de la bibliothèque de Heidelberg découvert en 2005. Il s’agit d’une note manuscrite d’Agostino Vespucci, collaborateur de Machiavel à la chancellerie de Florence. Ce dernier connaissait Léonard, pour lequel il traduisit un texte latin sur la bataille d’Anghiari. En lisant un passage des Lettres familières de Cicéron où il est fait allusion au peintre de l’Antiquité Apelle, qui avait laissé une peinture de Vénus inachevée, Vespucci nota dans la marge de son livre :
« Ainsi fait Léonard de Vinci dans toutes ses peintures. Comme est la Tête de Lisa del Giocondo, et celle d’Anne, mère de la Vierge. Nous verrons ce qu’il fera pour la salle du Grand Conseil dont il est déjà convenu avec le gonfalonier. Octobre 1503 »
Cette annotation a permis de préciser la chronologie de l’œuvre mais a surtout confirmé l’identification traditionnelle du modèle due à Giorgio Vasari dans ses Vies des plus célèbres peintres, sculpteurs et architectes publiées à Florence en 1550 :
« Lionardo entreprit pour Francesco del Giocondo de faire le portrait de sa femme Mona Lisa et le laissa inachevé après y avoir peiné quatre années, lequel ouvrage se trouve aujourd’hui chez le roi de France à Fontainebleau. En cette tête, qui voulait voir combien l’art peut imiter la nature le pouvait aisément comprendre, car les plus petits détails que la finesse permet de peindre y étaient contrefaits. Car les yeux avaient ce lustre et cette eau que l’on voit toujours chez les vivants, et l’on apercevait autour d’eux tous ces roses bleutés, ainsi que les cils, qui ne se peuvent faire sans la plus grande finesse. Les sourcils, pour y avoir fait la manière dont les poils naissent de la peau, ici plus denses, là plus rares, et celle dont ils se courbent selon les pores de la peau, ne pouvaient être plus naturels. Le nez, aux belles ouvertures, roses et tendres, semblait vivant. La bouche avec sa fente, aux extrémités bien unies par le jeu du rouge de la bouche et de l’incarnat du visage, ne paraissait point couleurs mais chair véritable. Au creux de la gorge, qui regardait intensément voyait battre le pouls, et l’on peut dire en vérité que cette œuvre fut peinte de manière à faire trembler et craindre tout artiste valeureux, et qui que ce fût. Il usa encore de cet artifice que, Mona Lisa étant fort belle, pendant qu’il la portraiyait, il faisait jouer ou chanter et avait continuellement recours à des bouffons qui la fissent demeurer gaie, afin d’ôter cette mélancolie que la peinture a coutume de donner lorsque l’on fait des portraits. Et dans celui de Lionardo était un si plaisant sourire, que c’était œuvre à voir plus divine qu’humaine, et elle était tenue pour merveille parce que la vie ne se présente pas autrement. » (Traduction de Louis Frank)
Vasari n’a jamais vu le tableau, conservé en France depuis l’installation de Léonard en 1516, mais il a dû disposer de bons informateurs italiens qui avaient séjourné à Fontainebleau. Par ailleurs, Vasari réside souvent à Florence où vit la famille des Giocondo. Il prépare son grand ouvrage des Vies dans les années 1540, à une époque où Francesco del Giocondo vient de mourir, peu avant son épouse Lisa qui décède en 1542. En 1550, deux de leurs enfants sont encore vivants, et il y avait encore d’autres membres de cette famille bien établie à Florence. L’histoire du portrait de Lisa del Giocondo était sans aucun doute un fait célèbre et bien connu dans la bonne société florentine, d’où la grande fiabilité du témoignage de Vasari.
En France, Lisa Gherardini était en revanche inconnue mais on continua à l’appeler comme en Italie : « Monna Lisa », contraction de « Madonna Lisa » (Madame Lise), ou « La Joconde », francisation de « La Gioconda », féminisation du nom de famille de son époux Giocondo.
Une source contradictoire ?
Des historiens ont parfois contesté la cohérence de ces témoignages, en utilisant un autre document très important : le journal de voyage du cardinal d’Aragon, rédigé par Antonio de Beatis. En déplacement en France, le prélat rendit visite à Léonard de Vinci le 10 octobre 1517 dans le château du Clos-Lucé, et admira trois tableaux dont celui « d’une certaine dame florentine faite au naturel sur les instances de feu le Magnifique Julien de Médicis ».
Julien de Médicis était le troisième fils de Laurent le Magnifique et le frère du pape régnant alors, Léon X, qui l’avait nommé duc de Nemours. Ce prince fut le dernier mécène italien de Léonard, de 1513 à sa mort en 1516, l’accueillant à Rome dans le palais du Belvédère.
Selon ce témoignage, l’effigie représente bien une dame florentine, ce qui est le cas de Lisa Gherardini, mais elle aurait été faite à la demande de Julien de Médicis, ce qui est étonnant car on ne lui connait pas de lien avec Monna Lisa et cela semble aller à l’encontre du texte de Vasari affirmant que c’est son époux qui commanda le tableau.
Comment expliquer cette contradiction ? Quelques historiens ont supposé que le portrait montré par Léonard n’était tout simplement pas la Joconde, mais un autre tableau, peut-être « la Joconde nue » connue notamment par un carton préparatoire (Chantilly, musée Condé). Cela parait peu probable car cette image n’est pas un portrait mais une image de Vénus. Quant à un autre portrait perdu et non identifiable, cela parait encore plus incroyable tant les compositions de Léonard ont été célébrées et copiées dès leur création.
Des historiens ont donc supposé que la « dame florentine » était bien la Joconde du Louvre représentant bel et e bien Monna Lisa, et qu’il y avait dû y avoir une idylle entre elle et Julien, mais sans pouvoir le prouver. D’autres ont en revanche déclaré que le texte de Beatis prouvait que la Joconde du Louvre ne représentait pas Lisa del Giocondo, mais plutôt une maîtresse de Julien de Médicis. De faibles hypothèses ont été développées en faveur d’une identification à Isabella Gualanda (pourtant napolitaine et dont les liens avec Julien de Médicis ne sont pas connus) ou à Pacifica Brandani (mère du fils illégitime de Julien, Hippolyte, morte en 1511 et qui aurait été peinte à partir de 1513 par Léonard).
Il semble en fait plus pertinent d’interpréter le témoignage de Beatis à l’aune de l’extraordinaire liberté dont Léonard disposait vis à vis de ses obligations auprès des commanditaires. Plusieurs de ses œuvres ont été commencées pour une commande précise, mais furent finalement laissées inachevées (Adoration des Mages de la galerie des Offices) ou données à quelqu’un d’autre (première version de la Vierge aux rochers au Louvre). Souvenons-nous aussi qu’en 1508, le maître écrivait au gouverneur du Milanais, Charles d’Amboise, qu’il emportait de Florence vers Milan « deux tableaux, où il y a deux Notre Dame de grandeur différente, lesquelles j’ai commencées pour le Roi Très Chrétien ou pour qui vous plaira ». Etonnante remarque, en apparence désinvolte pour une commande royale ! C’est sans doute dans cet esprit qu’il faut interpréter la discussion entre Léonard et le cardinal d’Aragon, tous deux italiens et évoquant la mémoire d’une connaissance commune, le frère du pape régnant. Léonard aura simplement rappelé au prélat qu’il avait travaillé à la Joconde pour Julien de Médicis, mécène de l’artiste, qui devait naturellement admirer le tableau et vouloir l’acquérir.
Aussi, dans l’état actuel des connaissances, on peut affirmer que la Joconde représente Lisa del Giocondo et qu’elle fut peut-être commandée par son époux Francesco. Comme pour ses autres tableaux, Léonard a dû y travailler lentement, créant peu à peu un merveilleux chef d’œuvre séduisant ses mécènes successifs, Louis XII (de 1507 à 1512), Julien de Médicis (de 1513 à 1516) et finalement François Ier qui parvint à l’acquérir.
Une acquisition de François Ier
C’est seulement en 1999 que l’historien Bertrand Jestaz est parvenu à expliquer le destin des peintures que Léonard avait emportées avec lui en France en 1516. Il a découvert un document aux Archives nationales à Paris, attestant d’un paiement considérable de 2604 livres, de François Ier à Salaì, un des plus fidèles élèves de Léonard, en 1518 « pour quelques tables de paintures qu’il a bailles au Roy ». Étant donné l’énormité de la somme, ces tableaux donnés au souverain sont certainement les originaux du maître. Ce dernier a vraisemblablement commencé à organiser sa succession : pour Salaì, qui vivait désormais à Milan, le fruit de la vente des tableaux dès 1518, tandis que l’autre favori, Francesco Melzi qui vivait avec lui au Clos-Lucé, devait hériter seulement après sa mort de tous ses manuscrits et dessins.
Une œuvre très fragile mais bien conservée
Léonard a peint ce portrait sur une fine planche de bois de peuplier, une essence assez courante en Italie et notamment à Florence. Il choisit un support de grande dimension, environ 79,4 cm de haut sur 53,4 de large, afin de représenter le modèle à échelle naturelle.
Avec le temps, ce panneau s’est altéré : le bois, très sensible aux variations hygrométriques, est devenu légèrement convexe et s’est même fendu. Sur la face, une fente de 11 cm part du haut du panneau, traverse le cuir chevelu et s’arrête, presque miraculeusement, au niveau du front. Au revers, cette fissure a été anciennement stabilisée par la pose de deux papillons et de morceaux de toile. Les mouvements du panneau, contraints par un cadre, ont provoqué différents réseaux de craquelures très visibles aujourd’hui.
Contrairement à ce qui a parfois été écrit, le support n’a jamais été coupé comme le prouvent les bords nus du panneau et une « barbe », la crête de matière picturale formée contre le châssis de travail qui entourait le bois afin de faciliter la manipulation pendant l’exécution picturale.
En 1956, l’œuvre a été vandalisée par un déséquilibré qui lui jeta une pierre, brisant le verre protecteur et abimant un peu le coude gauche.
La peinture est aujourd’hui recouverte de nombreuses couches de vernis épaisses, irrégulières et oxydées, qui ont été posées après la mort de l’artiste au cours de diverses interventions de restauration. Ces couches non originales ont vieilli et forment désormais un filtre jaune transformant toute la palette des couleurs (notamment le bleu du ciel en vert) et assombrissant plusieurs parties de la composition, principalement le bas.
Hormis ces divers problèmes, l’œuvre est dans un bon état de conservation mais demeure intrinsèquement très fragile.
L’éclairage des examens de laboratoire
Les examens scientifiques, et notamment la réflectographie infrarouge, permettent heureusement de mieux comprendre la composition du portrait. Monna Lisa est assise sur un siège au dossier arrondi tenu par des balustres, que l’on appelle « a pozzetto ». Le siège est disposé presque perpendiculairement à nous, devant une petite balustrade décorée de moulurations rectangulaires. Le sol de la pièce est légèrement éclairé par la lumière provenant de l’extérieur. Aux extrémités de la balustrade, on distingue deux colonnettes qui encadrent un vaste paysage de chaines de montagnes bordées de cours d’eau. A gauche, une route sinueuse travers les monts tandis qu’à droite un pont traverse la rivière.
Un grand voile de soie
Le vêtement de Monna Lisa est aujourd’hui davantage discernable dans l’image de réflectographie infrarouge. On le comprend également mieux en observant la copie réalisée dans l’atelier de Léonard, récemment restaurée et conservée au musée du Prado. La Joconde porte une robe de couleur probablement vert sombre, avec des manches amovibles jaunes. On voit une chemise blanche ressortir du crevé au niveau de l’épaule. Sa robe est recouverte d’un grand voile de soie transparente fixé au niveau de la poitrine par des fils d’or brodés qui forment des entrelacs géométriques. Ce voile est légèrement remonté sur son coude droit et largement replié sur son épaule gauche.
Sa tête est également recouverte d’un voile transparent qui descend sur ses épaules. Contrairement à ce qui a parfois été écrit, ses cheveux ne sont pas complètement détachés car seules quelques mèches tombent sur les côtés du visage, le reste étant maintenu à l’arrière en chignon et retenu par un bonnet dont le contour est visible dans la réflectographie infrarouge.
L’assombrissement des couleurs du tableau dû aux couches de vernis oxydés expliquent en partie l’apparente sobriété de l’habit de la Joconde, parfois interprétée comme une tenue de deuil. En réalité, même si elle n’arbore pas de bijou, Lisa porte un costume à la mode florentine du temps, riche et sophistiqué, colorée également, ce qui n’est guère étonnant pour l’épouse d’un riche marchand de soie.
L’identification du grand voile de soie recouvrant la robe continue de faire débat. On y a vu un « guarnello » qui pourrait être une tenue caractéristique des femmes enceintes, comme dans le portrait de Smeralda Bandinelli peint par Botticelli (Londres, Victoria and Albert Museum). Monna Lisa ne présente cependant pas de ventre rebondi comme dans ce tableau. Aussi, d’autres historiens ont supposé que ce voile n’était qu’une invention de Léonard, fasciné par les jeux de transparence, afin de cacher un peu la tenue à la mode florentine et donner ainsi au portrait un caractère plus intemporel.
Une habile synthèse d’inventions flamandes
La mise en scène de Lisa del Giocondo s’inspire de portraits flamands très appréciés dans l’Italie de la Renaissance, notamment la présentation de trois quarts du modèle au lieu du traditionnel profil, qui avait déjà été retenu par l’artiste dans ses précédents portraits. La disposition de la figure devant une balustrade ouverte sur un paysage se retrouve dans plusieurs tableaux nordiques, tel le portrait de Benedetto Portinari peint par Memling en 1487 (Florence, galerie des Offices). Les mains jointes apparaissent aussi régulièrement dans les effigies flamandes, souvent posées au premier plan.
Le génie de Léonard est de reprendre ces dispositifs tout en leur donnant une cohérence naturelle. La pose de trois quarts n’est pas figée mais devient la conclusion d’un mouvement de torsion du corps vers le spectateur. De fait, les mains ne sont plus posées artificiellement sur le bord de la composition, sur une sorte de parapet, mais sont appuyées naturellement sur l’accoudoir du siège à pozzetto, le main droite venant de rejoindre la gauche. Si pour le théoricien de l’art Alberti, la peinture doit être une fenêtre ouverte, Léonard semble vouloir donner ici l’impression d’une porte ouverte : en découvrant le portrait, le spectateur a l’impression d’être accueilli par Lisa del Giocondo, représentée à l’échelle naturelle, assise sur la terrasse d’une villa et qui se tourne vers lui à son arrivée, en lui adressant un aimable sourire. Cette douce torsion du corps aboutit à une pose pleine de convenance qui relevait sans doute des codes de maintien dans la bonne société florentine.
Le plus célèbre sourire
Léonard représente ainsi l’épouse de Francesco del Giocondo en mère de famille vertueuse, mais sans l’expression distante voire altière des représentations anciennes et contemporaines. Il veut révéler les sentiments intérieurs du modèle à travers son sourire.
Cette expression est rare dans les portraits, mais on la trouve avant Léonard, par exemple chez Antonello da Messina. Le sourire se retrouve également dans plusieurs œuvres sacrées de l’artiste, la Sainte Anne et le Saint Jean Baptiste du Louvre qui sont des créations contemporaines de la Joconde.
Léonard a sans doute choisi cette expression pour donner au visage un aspect beau et gracieux, mais également pour créer une communication immédiate et très efficace avec le spectateur. Ce sourire de bienvenue l’invite dans les pensées de Monna Lisa. Mais Léonard suggère seulement ses émotions sans en révéler la cause.
Ce sourire pouvait aussi s’interpréter comme un jeu onomastique : « Giocondo » signifie en italien « heureux ». La Gioconda est donc une femme heureuse dont l’emblème naturel est le sourire.
La science du sfumato
Pour donner vie au mouvement de la figure et à son subtil sourire, Léonard a perfectionné à un degré extraordinaire sa technique de peinture à l’huile. La Joconde est, avec la Sainte Anne et le Saint Jean Baptiste, son œuvre maîtresse dans ce domaine. Elle a d’ailleurs dû constituer pour lui une sorte d’expérimentation qu’il a poussée le plus loin possible, laissant son œuvre en partie inachevée, comme cela est visible dans l’ébauche de terrain en bas du paysage à droite. Le visage est construit par d’imperceptibles transitions de l’ombre à la lumière, élaborées par de fines couches de glacis (des couches huileuses à peine chargées de pigment), qui estompent les contours, créant ainsi un effet de « sfumato » (estompage).
Le paysage présente des effets tout aussi raffinés de fondu pour créer un effet saisissant de perspective atmosphérique. Contrairement à ce qui a parfois été écrit, il n’y a pas de différence de hauteur de ligne d’horizon entre les parties droite et gauche : la ligne horizontale constituée par le point d’eau à droite se poursuit à gauche, en partie cachée par les montagnes.
De Monna Lisa à La Joconde
Il est fort probable qu’au cours de sa lente exécution, le tableau soit devenu plus que le simple portrait de Monna Lisa. L’identité du modèle est devenue peu à peu secondaire, et l’on a admiré cette image avant tout pour son extraordinaire restitution de la vie, aussi bien physique et psychologique, le symbole de la science divine de la peinture (selon le concept développé par l’artiste) capable de recréer la vie dans toute sa complexité.
Le tableau le plus célèbre du monde
L’œuvre a fasciné les contemporains de Léonard, notamment les artistes qui s’en sont inspiré pour leur propre portrait, tel le jeune Raphaël qui l’admire lors de son séjour à Florence entre 1504 et 1508. Des copies en ont été faites dès le XVIe siècle et l’on en connait aujourd’hui plus d’une centaine.
Le texte de Giorgio Vasari, publié en 1550, en a fait l’un des principaux chefs-d’œuvre de la peinture italienne, inaugurant ainsi le mythe de la Joconde. A partir de la seconde moitié du XIXe siècle, des hommes de lettre en ont livré des descriptions passionnées qui ont forgé l’idée d’une beauté fatale et énigmatique, à l’origine du mythe saugrenu d’un secret caché dans le tableau.
Le vol de l’œuvre par Vincenzo Peruggia, ouvrier vitrier au musée du Louvre, en 1911, lui a donné une célébrité mondiale et surtout plus populaire. La Joconde est devenue, après sa redécouverte en 1913, le principal chef-d’œuvre du Louvre, l’œuvre la plus célèbre au monde, source inépuisable de détournements aussi bien artistiques que publicitaires. Elle fut très exceptionnellement l’ambassadrice de la France en 1963 aux Etats-Unis (sous le Général de Gaulle et John Fitzgerald Kennedy), puis au Japon et dans l’ex-URSS en 1974, mais demeure depuis au Louvre, en raison de son extrême fragilité.
(Texte de Vincent Delieuvin, juillet 2021)
Détenteur précédent / commanditaire / dédicataire
Mode d’acquisition
ancienne collection royale/de la Couronne
Date d’acquisition
date : 1793
Propriétaire
Etat
Affectataire
Musée du Louvre, Département des Peintures
Localisation de l'œuvre
Emplacement actuel
Denon, [Peint] Salle 711 - Salle de la Joconde, Salle 711 - (Salle des Etats)
Index
Mode d'acquisition
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- Prêt exceptionnel, Tokyo (Japon), Metropolitan Museum of Art, 16/04/1974 - 11/06/1974, étape d'une exposition itinérante
- Prêt exceptionnel, New York (Etats-Unis), Metropolitan Museum of Art, 07/02/1963 - 04/03/1963, étape d'une exposition itinérante
- Prêt exceptionnel, Washington (Etats-Unis), National Gallery of Art, 10/01/1963 - 03/02/1963, étape d'une exposition itinérante
Dernière mise à jour le 19.10.2023
Le contenu de cette notice ne reflète pas nécessairement le dernier état des connaissances
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